mardi 12 mai 2009

Contre les violences sexuelles, la solidarité entre les femmes africaines

Wambi Michael

KAPALA , 11 mai (IPS) - Des cas accrus de viol et d’abus sexuel des femmes et des filles sont étroitement associés aux conflits armés et leurs conséquences en Afrique.

"Le viol a été utilisé comme une arme de guerre par des milices, et cela fait mal aux femmes pour toujours, parce que même en temps de paix, vous trouvez peu de mesures en termes de réparation des effets et d’apport de la justice", a déclaré Marie Jalloh à IPS.

Jalloh, une députée sierra léonaise, était parmi les activistes de genre réunis à Kampala du 28 au 29 avril par ‘Akina Mama wa Afrika’ – qui signifie en Swahili "solidarité entre les femmes africaines". Et cette organisation travaille, depuis 1985, pour soutenir les femmes africaines à identifier des questions autour desquelles elles s’organisent – afin de discuter des voies pour renforcer les mouvements des femmes contre les violences basées sur le genre en Afrique conflictuelle ou post-conflictuelle.

"A vrai dire, les gens - même les femmes – ne prennent pas au sérieux le viol [en Sierra Leone]", a-t-elle souligné. "Pour eux, c’est un mode de vie, mais ils ne savent pas comment cela affecte les femmes. Même quand les victimes essaient de parler franchement, elles n’obtiennent pas justice. Si elles vont au commissariat, le violeur ira donner de l’argent à la police et les victimes continueront de souffrir. Alors, certaines victimes font recours au silence, mais souffrent du traumatisme à jamais".

Françoise Mukuku, la coordinatrice d’un jeune Groupe féministe en République démocratique du Congo (RDC), a confié à IPS que le viol sévissait encore dans la partie orientale du pays.

"Les gens qui sont en train de combattre en RDC viennent du Rwanda, du Burundi, certains viennent de l’Ouganda comme la LRA [Armée de résistance du seigneur] qui sont actifs au Congo. Nous avons la même culture selon laquelle la femme appartient à l’homme. Alors, si vous voulez humilier le mari, vous violez sa femme ou sa fille", a indiqué Mukuku.

"J’ai rencontré des femmes qui ont été violées par des gangs et ont attrapé le VIH/SIDA comme conséquence. L’est de la RDC a [tellement] de cas de fistule, non pas simplement à cause de l’accouchement, mais surtout du fait du viol de la part des gangs".

Mukuku a dit que le viol et d’autres formes de violences sexuelles humilient non seulement les femmes, mais brisent leur confiance, et les empêchent de participer aux activités de développement.

"Nous sensibilisons les femmes à prendre la parole, à parler franchement du viol. Nous disons aux femmes que notre culture et la religion ne nous aident pas à mettre fin au viol. Nous devrions trouver un troisième moyen de parler fort parce que c’est nous qui comprenons ce que nous sentons lorsque nous sommes violées", a-t-elle ajouté.

Solome Nakaweesi Kimbugwe, directrice exécutive de ‘Akina Mama Wa Africa’ (AMwA), a déclaré que l’échec des protections juridiques, ainsi que la pauvreté et l’analphabétisme ont rendu les femmes vulnérables aux violences basées sur le genre.

Elle a affirmé que les femmes ne jouissent pas généralement d’une indépendance économique et sont privées de l’opportunité de décider de la façon d’utiliser même les ressources limitées à leur disposition, sont confrontées à la tâche pénible de défendre leurs droits légaux. "Même si une femme a vendu un poulet, l’argent n’est même pas suffisant pour prendre un avocat. Les lois sont là, mais elles ne sont pas mises en application. Le système et les procédures judiciaires portent préjudice à la femme", a expliqué Kimbugwe.

Les activistes à cette rencontre régionale à Kampala ont noté que les cas de viol et d’abus sexuel n’ont pas fait correctement l’objet d’enquêtes approfondies, avec des exceptions limitées en Sierra Leone, au Rwanda et en RDC. AMwA a lancé un programme des violences basées sur le genre, pour trois ans, dans la Région des Grands Lacs, et en Afrique de l’ouest qui impliquera, entre autres activités, l’enquête sur des abus pour renforcer le plaidoyer en vue de meilleures politiques.

Annie Chikwanha, professeur principal à ‘African Human Security Initiative Institute For Security Studies’ (l’Institut pour les études de sécurité de l’initiative africaine de sécurité humaine), a indiqué que l’enquête sur de telles expériences est nécessaire pour vaincre le silence imposé sur les victimes des violences sexuelles.

"Il y a une sorte de honte qui contraint nombre d’actions des femmes. Que diront les communautés si le monde entier sait que j’ai été violée? Nous nous stigmatisons même plus à cause de toute cette forme de honte", a-t-elle déclaré.

"Et les femmes qui sont violées sont les plus pauvres; alors, elles n’ont aucun recours parce qu’elles n’ont pas une voix. Mais ce sont les femmes qui souffrent de ces atrocités; alors, elles devraient en parler au lieu d’un tiers qui peut déformer les informations".

Chikwanha a souligné la difficulté de collecter des informations sur les violences basées sur le genre.

"Il y a tellement de complexes culturels contre les femmes. Il est très difficile à la femme de parler librement avec franchise; parfois la femme demande l’autorisation juste pour parler à un étranger", a-t-elle affirmé.

"J’ai vécu une expérience en conduisant des enquêtes dans des zones rurales en Afrique : vous devez, la plupart du temps, demander l’autorisation de l’homme avant d’accéder à la voix de la femme. Et l’homme insiste à écouter la conversation. Alors, la femme se sent gênée de parler franchement. Nous disons maintenant : rendons autonome la femme avec des compétences pour que ces expériences fassent l’objet de recherches".

Elle a dit que le manque de statistiques a affecté la programmation des services en faveur de la femme dans les zones touchées par les conflits. Reprenant un thème similaire, Awino Okech a confié à IPS qu’il y a un besoin d’inclure des mesures de lutte contre les violences basées sur le genre dans les interventions politiques dans les situations conflictuelles ou post-conflictuelles.

"Dans des situations où il y a un soutien psychosocial pour les femmes, les filles traumatisées et même les hommes dont des parentes ont été violées, comment espérer un rétablissement de cette famille ou de ces individus? Des femmes meurent silencieusement des effets dus au viol comme la fistule; beaucoup ont le VIH/SIDA et d’autres infections sexuellement transmissibles... Mais où peuvent-elles aller pour un traitement dans des cas où vous devez parcourir des kilomètres afin d’accéder à une unité de santé qui n’est pas équipée de médicaments?".

Okech travaille au Centre africain pour la résolution constructive des conflits, qui met l’accent sur la résolution des conflits, le dialogue et le développement institutionnel comme la solution aux défis présentés par les conflits à travers l’Afrique. Elle a déclaré que la lutte contre les violences basée sur le genre a rarement été une priorité, mais qu’une telle réponse est importante en vue d’un rétablissement des victimes.

Hyacinthe Budomo, conseiller de genre, à la Conférence internationale sur le secrétariat de la Région des Grands Lacs, a dit à IPS que l’impunité pour les auteurs des crimes sexuels pourrait être éliminée si les pays profitaient des institutions régionales et des cadres juridiques existants.

"Nous devons réformer les codes pénaux dans les Etats membres de la Région des Grands Lacs. Nous avons besoin d’une coopération judiciaire entre les Etats membres de la région. Nous devons former la police afin de mettre fin aux violences basées sur le genre", a souligné Budomo.

"Je crois fortement que si les femmes se réunissent comme en réseau et font pression en vue des réformes au cas où il n’y a pas de lois, et en vue d’une mise en vigueur au cas où des lois qui existent, je crois que nous trouverons une porte de sortie de cela. Nous avons de bonnes lois au niveau international, mais la plupart de ces lois n’ont pas été intégrées par les Etats dans leurs arsenaux juridiques. Alors, la mise en œuvre de ces lois est toujours tirée par les cheveux. Donc, il y a beaucoup de travail à faire : avant tout, ratifier ces lois et se les approprier. Autrement, elles restent dans les placards pendant que les femmes continuent d’être violées et abusées sexuellement". (FIN/2009)

lundi 11 mai 2009

Formation en aide psychosociale pour soutenir les victimes de violences basées sur le genre

Source: Multi-country demobilization and reintegration program

Date: 10 May 2009 A&N no. 5

Le projet d'Apprentissage pour l'égalité, l'accès et la paix (LEAP de son sigle anglais) a financé une formation pour le traitement des troubles liés aux traumatismes chez les victimes de violences basées sur le genre.

Pendant trois semaines de janvier à février 2009, trente et un hommes et femmes congolais ont reçu une formation en aide psychosociale sur les traumatismes par un groupe de cinq experts financés par le programme LEAP du MDRP.

Les participants – des travailleurs sociaux ou de la santé, et même des docteurs – ont été choisis dans des hôpitaux et centres de santé de l'est de la République Démocratique du Congo (RDC) où la population civile a été la plus touchée par les conflits prolongés et la violence de la dernière décennie s'y rapportant.

Dans cette région, les services de santé mentale pour la population locale, surtout pour les victimes de violences liées au genre, sont presque inexistants. Il n'y a aucun psychiatre local dans les Kivus. Les infirmières et les travailleurs sociaux sont surchargés de travail et n'ont pas accès aux formations appropriées pour pouvoir donner un soutien psychologique.

L'horrible héritage de la guerre

En RDC, le viol a souvent été utilisé comme une arme de guerre. Dans les provinces de l'est, les histoires de viol contre des femmes ou des enfants, et de plus en plus contre les hommes, sont monnaie courante. La tranche d'âge des victimes s'accroit, car sont visés non seulement les jeunes filles et les femmes, mais aussi les enfants et les femmes âgées.

Il est impossible d'estimer l'étendue des violences liées au genre en RDC car il y a peu de plaintes, les victimes manquant d'accès aux structures appropriées, ayant honte ou peur de représailles. Mais depuis le début de la guerre, il est probable que le nombre de victimes approche les centaines de milliers.

Le soutien aux victimes de violences liées au genre doit à la fois traiter l'impact psychologique ainsi que la question du retour des victimes dans leurs communautés, où elles sont souvent stigmatisées (rejet par leur mari et leur communauté, rejet des enfants nés des viols). Ce n'est qu'avec cette approche combinée que les victimes peuvent retrouver une vie normale.

Stagiaires-patients

A Bukavu, les participants et les formateurs se sont rencontrés tous les jours pendant trois semaines. Ont eu lieu des cours théoriques (comment le cerveau fonctionne-t'il ? qu'est ce que le syndrome de stress post-traumatique - SSPT ? comment le traitement se passe-t'il étape par étape ?) et des exercices pratiques. Ce qui d'habitude s'apprend par des jeux de rôles était ici bien ancré dans la réalité. En effet, la plupart des participants exhibaient eux-mêmes des symptômes de traumatismes, de la dépression à la névrose traumatique.

« Nous allions travailler dans l'est de la RDC, où les conflits durent depuis des années. Donc je savais qu'il y aurait sans doute quelques participants qui auraient des symptômes traumatiques. Mais je ne savais pas que presque tous seraient dans cette situation. Le seul autre endroit où j'ai vu tant de problèmes psychologiques chez les participants était Kabul » dit Dr. Elisabeth Schauer, l'une des cinq formatrices.

Une "ligne de vie" de fleurs et de pierres

La plus grande part de la formation était consacrée à la thérapie narrative par exposition (TNE – voir encadré ci-dessous). Ce traitement, qui cible directement le traumatisme, est court –pas plus de 10 séances- et vise à aider les patients à réduire de façon significative le SSPT et à fonctionner de nouveau normalement au quotidien. La peur ou la tristesse extrêmes qui peuvent être ressenties durant un événement traumatique change la structure et le fonctionnement de certaines parties du cerveau où notre mémoire autobiographique est emmagasinée. En revivant ces événements durant les séances de thérapie, la « structure de peur » de la mémoire est détruite et la guérison peut commencer.

Le traitement est représenté visuellement par une corde (la vie), et par des fleurs et des pierres placées par le patient à différents intervalles sur la corde pour représenter les événements les plus importants de leur vie. Les fleurs représentent les épisodes joyeux (naissance, école) et les pierres symbolisent les expériences tristes ou effrayantes (mort d'un proche, peur extrême, viol).

" Les participants qui passent eux-mêmes par cette forme de thérapie deviennent les meilleurs praticiens » ajoute Schauer. « Cette forme d'enseignement est très efficace chez les adultes, car ils ont besoin d'apprendre non seulement la théorie mais aussi en guérissant les épisodes douloureux de leur propre passé. Les symboles reçoivent tous une date, un nom et un lieu, et la corde devient alors la 'carte' à suivre pour la thérapie. Le plus de temps est consacré aux pierres les plus grosses, qui représentent les évènements traumatisants. »

Les participants ont aussi appris à dépister le SSPT et les autres troubles traumatiques, et ont acquis des compétences essentielles d'aide psychosociale.

A la fin des trois semaines de formation, en plus de l'évaluation des participants pendant les exercices pratiques, ceux-ci ont aussi passé un examen théorique pour s'assurer qu'ils étaient prêts à mettre en pratique ce qu'ils avaient appris.

Visites de soutien régulières

Peu de temps après la fin de l'apprentissage, les formateurs on rendu visite aux participants sur leur lieu de travail pour les aider dans d'autres aspects de l'aide psychosociale aux victimes de traumatismes, par exemple pour déterminer comment enrôler les patients et comment garantir un diagnostic sûr. Ceci est essentiel pour que la meilleure option de traitement soit choisie.

En mars, les formateurs sont retournés en RDC pour voir de nouveau les participants et s'assurer qu'ils parvenaient à remplir leur nouveau rôle de thérapeutes. Ils en ont encouragé certains à travailler à deux, l'un écoutant le patient et le deuxième prenant des notes.

Enfin, une récente visite a eu lieu fin avril. Ce suivi est important car il a permis aux formateurs de répondre aux questions auxquelles les participants avaient été confrontés en pratiquant la TNE. De plus, le suivi a permis de garantir le soutien des différentes institutions et organisations impliquées dans les services de santé mentale.

Schauer explique : « Tous ceux qui ont participé à la formation ont déjà un travail. C'est bien, parce que cela leur assure un revenu régulier, mais nous voulons aussi nous assurer que leurs descriptions de poste soient ajustées pour leur permettre de passer environ 50% de leur temps en soutien psychosocial. Ils ont besoin d'utiliser leurs nouvelles compétences pour les maintenir à bon niveau, mais nous ne voulons pas qu'ils le fassent en dehors du travail. C'est une occupation difficile qui demande beaucoup d'énergie à la fois chez le patient et chez le thérapeute. »

Les résultats de ce projet seront analysés en vue d'une expansion possible à d'autres localités. L'équipe du projet veut aussi explorer les liens entre le soutien psychosocial aux traumatisés et le soutien au rétablissement socioéconomique.

Le syndrome de stress post-traumatique etla thérapie narrative par exposition

Le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) est un trouble d'anxiété qui peut se produire chez une personne ayant vécu un événement traumatique. « Traumatisme » est dérivé d'un mot grec signifiant « blessure de l'âme ». La psychologie clinique définit le traumatisme psychologique comme l'expérience et l'impact psychologique d'événements graves au cours desquels la victime a peur pour sa vie et qui ont des effets si néfastes que la victime est horrifiée et se sent sans défense pendant et peu de temps après l'événement.

Après le traumatisme, les victimes ont souvent des souvenirs bouleversants de ce qui s'est passé, ont du mal à dormir, se sentent anxieuses ou nerveuses, ou bien ne trouvent plus d'intérêt aux choses qu'elles aimaient auparavant. Pour certains, ces réactions ne disparaissent pas et peuvent même empirer avec le temps. Ceux-là souffrent du symptôme de stress post traumatique (SSPT).

Le SSPT modifie le fonctionnement du cerveau de ceux qui en souffre. Le stress provenant d'un traumatisme peut fortement endommager le cerveau (au point d'être visible sur un scanner).

Les traitements basés sur l'exposition et les thérapies cognitivo-comportementales sont les moyens les plus efficace de traiter le SSPT.

La thérapie narrative par exposition (TNE) trouve ses racines dans la thérapie cognitivo-comportementale, la thérapie d'exposition et la thérapie de témoignage. Elle les adapte pour les populations vivant en milieu pauvre et qui ont du faire face à de multiples traumatismes. C'est une option de traitement pratique et basée sur les faits qui englobe les théories psychologiques actuelles et les approches de traitement du SSPT, et qui permet de disséminer cette approche aux thérapeutes non-spécialistes.

Le thérapeute de TNE prend part à l'histoire du patient en exprimant et en imitant les sensations, le comportement et les détails du passé dans le présent. Il accompagne pleinement la victime à tous les niveaux (sensoriel, cognitif, physiologique, émotionnel). Son état d'esprit peut être décrit comme empathique et sans jugement, comme dans les thérapies humanistes. Cependant il guide le patient pour l'amener à confronter les moments de peur tout en racontant son passé.

En plus d'atténuer les symptômes de traumatisme, la TNE produit un document qui représente la biographie du patient – ses expériences de perte, de peur, d'anxiété, de joie et d'espoir. Les expériences positives font prendre conscience au patient de ses propres ressources stratégies d'adaptation.

L'efficacité de la TNE a été confirmée dans plusieurs groupes cibles, notamment les réfugiés enfants et adultes en Europe et dans différentes régions d'Afrique, les enfants et adultes en Asie après les conflits et le tsunami, les ex-combattants en Somalie, les veuves et orphelins du génocide rwandais, et les enfants soldats du nord de l'Ouganda.