jeudi 10 janvier 2008

Émilie Flore Faignond : "Kulalamika ya Mwana Muke"



« Un homme vous protège parce qu’il vaut, une femme parce que vous valez : voilà pourquoi de ces deux empires, l’un est odieux, l’autre est doux » (Chateaubriand).



Pour les femmes du Sud-Kivu dans l’Est de la République Démocratique du Congo !


Distingués invités,Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,chers amis, chers compatriotes,
Ce n’est malheureusement pas la première fois que des Associations ou des Pouvoirs Publics me demandent de monter aux créneaux pour parler avec des mots affluant de la sève de mon écriture de toutes les violences sexuelles ex abrupto faites à la femme et en particulier à celles que la matrice féconde de la terre congolaise a portées... Toutes celles qui en ont la belle couleur ébène et la douce chaleur. Je me serais volontiers abstenue de dénoncer et de commenter ces faits effroyables et outrageants, préférant de loin chatouiller la muse à travers la poésie où le rêve est roi et la nature ma source d’inspiration. Mais, s’il est vrai que j’aime viscéralement ce Congo, qui est l’essence de ma vie, je me dois de faire entendre ma voix de femme poète pour hurler encore combien la femme est aujourd’hui devenue une arme de guerre de prédilection dans notre pays arrosé d’or et de lumière.

Aussi, j’ai répondu « oui » à l’appel de Maddy Tiembe et d’Yvette Tabu qui ont organisé la rencontre d’aujourd’hui samedi 10 mars 2007 au Cinquantenaire de Bruxelles. Oui, je m’associe intimement au message que des milliers de femmes veulent diffuser avec et autour d’elles. Ce message est celui de l’information et de la dénonciation de la récurrence de ces brutales et horrifiantes exactions sexuelles qui sont hélas ! devenues monnaies courantes au Congo notre Patrie Souveraine. C’est notre manière à nous de porter secours avec nos moyens à ces femmes dont le quotidien est mis en péril sur notre belle planète bleue, sous le firmament de cette somptueuse nation congolaise qui nous a pourtant vus naître et grandir dans la paix et la quiétude. Le Grand Congo ! Notre Congo !

La date du 8 mars intitulée « Journée des Nations Unies pour les droits de la femme et de la paix internationale » a été choisie pour permettre aux femmes du monde entier de faire entendre leurs voix et de revendiquer leurs droits d’êtres humains à part entière. Droits repris dans les articles 13 à 25 des Nations Unies qui définissent la place de la femme au sein de la société mondiale. Aussi, je vous invite aujourd’hui à écouter avec beaucoup de respect et d’attention les voix des femmes de notre patrie. Non pas des voix, mais des cris ! Des cris stridents! Kulalamika ya mwana muke, Kulalamika ya mwana muke. Les cris de ces femmes bafouées dont je me fais le porte-parole au nom des femmes choquées que nous sommes, bouleversées par les violences terrifiantes que subissent des milliers de nos compatriotes dans l’Est du Congo. Je parle, nous parlons pour ces milliers de femmes meurtries, déshonorées, molestées dont les voix désespérées coulent vers nous incandescentes comme de la lave depuis les sommets volcaniques du Ngamuligara et du Nyariagongo. Prêtez bien l’oreille ! Ecoutez : C’est un cri ! Oui un cri !« Kulalamika ya mwana muke », « Kulalamika ya mwana muke ». Oui, ces voix sont brûlantes, brûlantes comme crachées par les bouches en feu des cratères des géants qui surplombent les vallées luxuriantes du Kivu. Ces voix hurlent et s’époumonent en nous criant toute leur détresse, toute leur douleur et leur impuissance face à leur belle et douce vallée endeuillée, maculée depuis de trop longues saisons par le terrorisme sexuel et le génocide mental instaurés dans l'Est du Congo. Depuis de trop longues saisons des hommes ; anciens génocidaires, désœuvrés et abandonnés dans la nature comme des fauves en liberté, ont choisi comme cibles, comme proies, les femmes de cette région aux paysages édéniques métamorphosés pour elles, aujourd’hui en un véritable enfer. Transformés en prédateurs, leurs bourreaux se livrent à leurs crimes en toute impunité. Pendant que les femmes souffrent, crient et pleurent les médias se taisent ! Le monde demeure sourd, reste silencieux et aveugle devant ces pestes nouvelles qui touchent et souillent nos compatriotes. Cette peste nouvelle qui macule notre terre. Kulalamika ya mwana muke, Kulalamika ya mwana muke.

Le viol n’est-il pas un crime odieux contre la dignité humaine, contre le tabernacle sacré et mystérieux de la femme ? Elle qui depuis la nuit des temps porte en son sein la vie avant de l’offrir au Monde !


La Femme créature que mon âme de poète aime tant et tant comparer à une fleur altière, belle, odorante aux pétales chatoyants et fragiles mais surtout aussi généreuse et féconde que la planète terre, notre magnifique patrie universelle. La terre… Ne sommes-nous pas des milliards d’êtres humains à y être nés et à y avoir grandi dans le « creux » de nos mères ?
J’aime à citer ces phrases du grand écrivain français Victor Hugo si anoblissantes pour la femme !

« Si Dieu n’avait pas fait la femme. Il n’aurait pas fait la fleur »

« La femme nous remet en communication avec l’éternelle source où Dieu se mire »

« Que l’amour est une mer dont la femme est la rive ».

De très beaux vers qui nous disent combien la femme est belle et fertile mais aussi et surtout qu’elle est sacrée depuis la nuit des temps. Et malheur, oui malheur à ceux qui profanent le sacré !

Aujourd’hui en ce mois de mars 2007 nous voudrions que vos voix et nos voix forment un chœur puissant et qu’elles se mêlent au cri, ô combien désespéré de nos compatriotes. Que nos voix vibrent, résonnent… Et que dans notre colère, elles tonnent encore plus fort que celles tonitruantes des volcans du Nyriagongo et du Nyamuligira quand ils entrent en éruption ! Oui, nous sommes révoltées et nous souhaitons que le puissant feu de notre désapprobation, soit entendu au sein de cette assemblée et qu’il soit rapporté jusqu’aux Nations Unies pour que soit dénoncé avec véhémence toutes les brutalités que subissent nos compatriotes de tous les âges confondus ! Car la cruauté de ces êtres n’épargne personne ; ils n’ont même plus visage humain ! Même l’animal le plus vil ne se réduit pas à de telles bassesses. Oui ; nous les avons entendu nos mamans, nos sœurs, nos filles, nos petites-filles et même nos grand-mères hurler toute leur douleur et leur désarroi quand ces tortionnaires incoercibles ont fait de leurs corps et de leurs âmes des jouets, une cour de récréation; une chambre de torture. Comme le dit si bien Christine Deschryver.

Christine Deschryver qui déploie tous ses efforts pour révéler l’épouvante sexuelle qui souffle comme un vent irascible en terre congolaise tel un malstrom de tortures terrifiantes et fangeuses. Elle qui s’arme aussi de tout son courage pour mener ce combat titanesque, contre vents et marées. Ne dirait-on pas que l'Est du Congo a été entaché par une souillure purulente, fétide qu’aucune de ses sources cristallines ne pourra épurer ? Nous crions, nous pleurons, nous gémissons avec toutes ces femmes, nos compatriotes martyrisées. « Kulalamika ya mwana muke », « kulalamika ya mwana muke ». Au secours, au secours crient-elles mais le monde entier semble vouloir rester sourd à ces haros de détresse peut-être étouffés et occultés insidieusement pour ne pas mettre en péril des intérêts politiques et économiques dans lesquels se diluent hélas tout le désespoir de nos compatriotes livrées en pâtures à des gens barbares. « Kulalamika ya mwana muke », « Kulalamika ya mwana muke ». Entendez les cris de ces femmes à jamais détruites dans le corps et l’âme avec des séquelles irréversibles dont la liste est longue et effroyable :

« Sida et autres maladies sexuellement transmissibles, la folie s’empare de leur esprit tourmenté, la stérilité, la frigidité, les handicaps lourds, les fistules, sans omettre la mort... »

C’est apocalyptique !

Aujourd’hui, avec toutes les dames et mes sœurs congolaises qui travaillent entre l’ombre et la lumière et qui se sont investies dans cette noble action nous vous demandons à tous ; femmes et hommes de rejoindre rapidement nos rangs, pour mener la seule guerre et le seul combat qui soit juste et en vaille la peine ; celui des droits humains. Ayons la volonté et le courage de sortir ces femmes du gouffre obscur dans lequel elles ont été plongées avec une violence extrême. Car : « Vouloir c’est pouvoir ! » Nous aurons déjà gagné une grande bataille avant d’avoir remporté la victoire sur l’adversité si nos cris ont eu la puissance d’ouvrir les portes de vos cœurs et le don d’éveiller, de réveiller enfin vos esprits et s’ils ont suscité une réelle prise de conscience de votre part face à ce fléau qui coule comme un venin dans le corps de nos mères, de nos sœurs, de nos filles, de nos petites-filles et hélas dans celui de nos grands-mères aussi. L’horreur et son macabre cortège de perversité ! Nous vous demandons donc de bien vouloir déjà apposer votre signature sur notre pétition qui sera bientôt sur « Internet » et que celles-ci soient nombreuses pour qu’elles remplissent des pages entières afin que cette pétition fasse une entrée fulgurante dans l’hémicycle du panthéon des Nations Unies où siègent les Grands Hommes. Ces Grands Hommes qui ont le pouvoir de décision sur les événements qui se passent à travers le Monde entier. Ces hommes qui pourront, nous l’espérons faire bouger les choses à une plus grande échelle que la nôtre. Mais en attendant de voir éclore ce jour crucial, il y a urgence ! Avant d’être confrontés à l’extinction effroyable des femmes de notre verdoyant Congo.

Nous devons agir rapidement et efficacement pour éviter une véritable hécatombe ! Nous vous demandons un soutien moral concret, la collecte de médicaments de première nécessité, d’appareils médicaux, de vêtements (même chauds car dans cette région dévastée les nuits sont particulièrement fraîches). Ce n’est qu’une goutte d’eau pure dans un océan de turpitudes et de douleur mais elle pourra en nuancer la couleur, croyez-moi ! Nous comptons aussi sur vos dons en argent : 25 euros par personne et cela nous aiderait à payer les prestations d’une infirmière, d’un infirmier. Et si votre générosité est plus grande encore que notre espoir, nous pourrions aussi honorer le salaire d’un ou plusieurs médecins et psychologues qui soigneraient et encadreraient ces femmes mortifiées dans leurs corps et leurs âmes. Le plus ignoble des outrages ! Le viol ! J’en appelle à votre humanisme et surtout à vous sœurs congolaises et frères congolais à votre patriotisme qui ne peut demeurer indifférent à cette infamie. Il y a danger sur la terre de nos aïeux ! Oui, il y a danger ! Alors réagissez déjà en diffusant cette information partout autour de vous... Une vraie campagne contre la violence ! Quand l’Association Green Peace dénonce l’extermination de certaines espèces animales sur la terre, le Monde entier s’émeut, tremble et se mobilise pour les protéger, leur porter secours ! Mais c’est à peine si quelques vagues bougent pour dire au Monde qu’en R.D.C. tous les jours des centaines de femmes sont violées, molestées et handicapées par ces viols ! Pourquoi ? Oui, pourquoi ? La vie de nos compatriotes n’est-elle pas précieuse et sacrée ? Alors pourquoi cette indifférence, cette léthargie face à leur drame ? Oui ; pourquoi ? Devons-nous les laisser continuer à vivre leur quotidien dans la terreur, l’épouvante, l’effroi, l’humiliation, l’opprobre, la fange et la douleur ? Où sont nos consciences dans quel tain se mirent-elles pour oser se regarder en face et se taire devant cette ignominie ? Réveillons-nous, je vous en prie ! Des femmes souffrent, hurlent et pleurent dans notre patrie ! Ne tardons plus ! Volons à leur secours ! « Kulalamika ya mwana muke », « Kulalamika ya mwana muke ».

Comme je l’ai déjà dit lors du symposium sur les violences faites à la femme le 23 juin 2006 à Bruxelles. Je tiens à rappeler encore et encore quelques points fondamentaux qui constituent les piliers de toutes les disciplines : ces vertus et toutes ces valeurs perdues et qu’il nous faudra repêcher coûte que coûte pour redonner à la femme toute sa valeur et la place prépondérante qu’elle avait au sein de notre société d’antan et prendre conscience qu’on ne peut ni reconstruire, ni édifier sans Elle !

Car je pense comme Jésus-Christ de Rastaquouère que:

« Les femmes sont les dépositaires de la liberté ».

Je ne pourrais clore notre message avant de citer des femmes et des hommes de terrain qui sur place, parfois au risque de perdre leur vie, dénoncent... et se battent à coups de becs et d’ongles pour venir en aide à nos compatriotes confrontées à des préjudices lourds de conséquences car ils laissent des séquelles profondes physiques et psychiques, pour lesquelles n’existe aucun antidote. Parmi ces femmes et ses hommes il y a, entre autres : Christine Deschryver, le docteur Mukwege et tant d’autres encore qui se battent pour secourir ces femmes avilies, violentées en toute impunité !

Nous sommes toutes unies pour un même et seul combat ! C’est pourquoi nous sommes là et tant d’autres encore qui, elles aussi s’impliquent pour tendre la main aux filles de notre pays ! Un grand vent de fronde pour dénoncer et lutter auprès de Christine Deschryver contre cet homicide volontaire du corps et de l’âme des femmes du Kivu… « La Guerre de Christine » Christine qui est venue expressément du Kivu pour être là avec nous. Christine qui à son retour au Congo rapportera à nos compatriotes martyrisées : notre mobilisation, notre action, notre dynamisme qui consistent à donner une voix à leurs cris et à diffuser de la lumière dans le puits d’obscurité où palpitent leurs douleurs. Nos compatriotes sauront que désormais elles ne seront plus jamais seules.

"Supérieures par l’amour, mieux disposées à toujours subordonner au sentiment l’intelligence et l’activité, les femmes constituent spontanément des êtres intermédiaires entre l’humanité et les hommes " (Comte XIX siècle).

Une dernière citation poétique pour souligner tout le respect que l’on doit à la femme :

« On ne frappe pas une femme, même pas avec une fleur ».

Nous tenons à dire toute notre gratitude à Nathalie Gilson et à Pie Tshibanda, respectivement marraine et parrain de cette action. Nous vous remercions d’être parmi nous aujourd’hui et pour toute votre attention à la lecture de notre message et d’avoir prêté l’oreille, écouté et j’espère entendu le cri de ces femmes du lointain Congo ! Kulalamika ya mwana muke, Kulalamika ya mwana muke . Merci !

Emilie Flore Faignond
Poète-Écrivain
Bruxelles, le 10 mars 2007

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