Mélanie Coutu, Chercheuse à l'Observatoire sur les missions de paix de la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQÀM
Sandra Le Courtois, Chercheuse à l'Observatoire sur les missions de paix de la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQÀM
Édition du mardi 16 décembre 2008
Quelque 1100 viols par mois, un total de 13 247 cas seulement pour l'année 2007. Voilà les données officielles dévoilées par la MONUC (Mission des Nations unies en République démocratique du Congo) au sujet des violences sexuelles en RDC. Et depuis la reprise des hostilités dans le Nord-Kivu en août dernier, ces chiffres ont décuplé.
L'organisation est aujourd'hui montrée du doigt pour ne pas avoir réussi à assurer la mise en place d'une paix durable en RDC. Mais l'échec de la MONUC à mettre un terme aux violences sexuelles dans le conflit congolais témoigne d'un malaise plus profond, celui d'avoir échoué à comprendre et à véritablement intégrer les problématiques spécifiques aux femmes congolaises. Alors que celles-ci devraient être aux premières loges du processus de paix et de reconstruction de la société, le conflit en RDC a contribué à exacerber les discriminations qu'elles vivent. Et malheureusement, les acteurs de la MONUC n'ont pas su y remédier. Pire, certains s'en sont fait complices.
La précarité économique comme porte d'entrée des abus vécus par les femmes
Au-delà même de la gravité et de l'incroyable cruauté des crimes sexuels commis à l'encontre des femmes et utilisés comme arme de guerre dans le conflit congolais, la précarité économique des femmes est un autre des abus qu'elles subissent. Selon l'ONG Save the Children UK, les femmes composent de 30 à 40 % des effectifs des belligérants. Un certain nombre de Congolaises se joignent aux troupes de leur plein gré, mais la majorité d'entre elles le font afin de subvenir à leurs besoins. Elles y jouent alors des rôles différents: logistiques (productrices de denrées alimentaires, travail domestique, assistance médicale), militaires (combattantes, espionnes, messagères, gardes du corps) ou esclaves sexuelles. Peu importe leur rôle ou leur statut au sein du groupe, la majorité d'entres elles subiront une forme d'abus sexuel.
Quand les soldats de la paix commettent les abus
Le déploiement de la MONUC, en 1999, et l'établissement d'une paix chancelante n'ont pas résolu la question de la précarité économique des femmes. Dès 2004, devant un nombre grandissant d'allégations d'exploitation et d'abus et sexuels, les Nations unies ont dû se rendre à l'évidence: les violences sexuelles ne sont plus le monopole des groupes armés, de la police ou des militaires congolais. Elles sont également commises par certains membres du personnel de la MONUC. Pour de l'argent, de la nourriture ou un emploi, il existe, autour du personnel de la MONUC, un véritable marché de faveurs sexuelles.
L'attitude équivoque des Nations unies
Les Nations unies ont su reconnaître le caractère inadmissible de ces abus, dès leurs premiers échos. L'instauration d'une politique de tolérance zéro et d'une série de mesures répressives mettent en évidence la réelle volonté d'enrayer cette réalité peu reluisante du maintien de la paix. Néanmoins, l'attitude des Nations unies demeure ambiguë. D'un côté, il y a une dénonciation vigoureuse de ces abus. De l'autre, l'organisation onusienne se réfugie derrière la préséance des pays fournisseurs de contingents à sanctionner leurs soldats (ce qu'ils ne font à peu près pas). Ainsi, dans un contexte tel celui de la RDC où les infrastructures légales et juridiques n'ont pas encore été complètement rétablies, le climat d'impunité qui règne permet d'expliquer que certains membres du personnel de la MONUC se soient adonnés à des actes délictueux.
Les femmes-parias et la faillite du processus de paix
Dans le cadre de son mandat d'appui au Programme national de Désarmement, Démobilisation et Ré-intégration, la MONUC mène des négociations auprès des différents chefs de groupes armés afin de démobiliser les combattants en vue de leur réinsertion sociale. Mais dans ce processus, les femmes-combattantes sont pratiquement absentes (entre 2004 et 2008, seules 2 600 femmes ont été démobilisées contre 102 000 hommes). Leur sous-représentation s'explique d'abord par le fait que les femmes-combattantes sont rarement perçues comme des actrices du conflit. Ensuite, parce que les opérations de paix en général, et la MONUC en particulier, peinent à comprendre le rôle particulier des femmes dans la société hôte d'une mission de paix et les raisons qui expliquent la discrimination qu'elles vivent au quotidien. Enfin, parce que les femmes, pilier de leur communauté, sont souvent ostracisées par leur collectivité dès qu'elles ont fait partie d'un groupe armé ou qu'elles ont été victimes de violences sexuelles. Plusieurs s'exileront vers les centres urbains, où il devient presque impossible de les rejoindre. Elles seront alors amenées à se tourner vers des moyens de survie tels que vendre leur corps au personnel des Nations unies ou rejoindre des factions armées.
Les Nations unies, notamment par l'adoption des résolutions 1325 et 1820, démontrent une préoccupation manifeste à ce que les femmes fassent partie intégrante de toutes les étapes du processus de paix. Cependant, les allégations d'abus sexuels par du personnel des Nations unies ainsi que le traitement réservé aux femmes-combattantes mettent en évidence une incompréhension fondamentale des réalités qui affectent les femmes congolaises. Les discriminations vécues par celles-ci, en temps de paix, devraient nous fournir des indications précieuses sur les moyens à mettre de l'avant pour briser le cercle des violences et des abus dont les Congolaises font les frais en temps de conflit.
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