dimanche 2 décembre 2007

Kisangani : les victimes des guerres crient très fort pour être entendues

Démunies, handicapées, malades, sans abris, les victimes de la guerre de 2001 à Kisangani, chef-lieu de la Province Orientale, attendent toujours qu’on leur rende justice et qu’on les dédommage. Des ONG essaient de les organiser pour faire entendre leurs voix.
J’ai perdu trois membres de ma famille et ma jambe. Mon mari m’a chassée à cause de cet état physique que je n’ai pas cherché. Mes neuf enfants errent dans les rues. Je ne sais trop comment me prendre en charge…», s’exprime devant la presse, larmes aux yeux, une veuve dont le mari a été tué pendant la guerre.La scène se déroule lors d’une rencontre des victimes des guerres organisée en septembre dernier à Kisangani. «Ma blessure intérieure est incurable», déclare, tout aussi amer, Jean Kasongo, un garçon qui a perdu sa mère lors de la guerre dite de six jours (elle opposa en 2001 en plein Kisangani les troupes rwandaises à l’armée ougandaise, NDLR).
Impacts de la guerre visiblesDans la Province Orientale, les veuves et veufs, les orphelins, les blessés des guerres, les handicapés, les filles-mères et les femmes violées se comptent par milliers. En sillonnant les rues et quartiers de Kisangani, les vestiges, les destructions et impacts des balles et les obus sont toujours visibles et témoignent encore de l’ampleur des dégâts causés par les affrontements armés. «Les affres de la guerre sont encore là, les victimes aussi. Mais leurs besoins sont urgents», fait remarquer Firmin Yangambi, membre d’une ONG de défense des droits des victimes des guerres.L’espoir qu’avait suscité la condamnation, en 2006, de l’Ouganda par la Cour Internationale de Justice (CIJ) à la réparation des préjudices causés par la guerre en RDC, a vite tourné au désespoir. Si l’Ouganda s’est engagé à dédommager les victimes, celles-ci continuent toujours d’attendre. «Les autorités congolaises ne se pressent pas pour amener leurs homologues ougandais à honorer leur engagement», déplorent aujourd’hui, dans leur ensemble, les personnes qui ont subi les affres de la guerre.
Un fonds pour indemniserFace à ce qu’ils considèrent comme l’inaction du pouvoir public vis-à-vis des victimes des guerres de Kisangani, Yangambi, leur avocat, souhaite éviter qu’elles demandent réparation individuellement. «Nous essayons d’organiser nos frères pour solliciter la solidarité nationale et internationale afin de soulager leur misère», dit-il. Fin septembre, elles ont signé la déclaration de constitution d’un «fonds de solidarité aux victimes des guerres de Kisangani» destiné à accueillir différents dons des philanthropes et organismes de bonne volonté, attentifs à leur souffrance. «Les maladies vénériennes, la délinquance juvénile, le viol, les filles-mères, les orphelins, les enfants non scolarisés… sont autant des conséquences de ces guerres», fait remarquer Pétronelle Ifa, coordonnatrice des Femmes Victimes des Conflits Armés (FEVCA), une ONG qui assiste les femmes et orphelins de guerre. Pour cette religieuse, «ces gens ont besoin d’une prise en charge effective: médicale, juridique, psychosociale et une réinsertion sociale dans la communauté».
Lutter contre l’oubliDepuis 2003, le Centre International pour la Justice Transitionnelle (CIJT), une ONG des droits de l’homme, apporte, elle aussi, une assistance technique à ces personnes pour les aider à lutter contre l’oubli. «La justice transitionnelle met en place un ensemble de mécanismes pour prendre en charge les graves violations des droits humains du passé», explique Alpha Fall, représentant du centre à Kinshasa. Ces mécanismes aident les pays qui sortent des conflits à aller vers la pacification et la réconciliation. «La réparation sous-entend la justice, la reconstitution de ce qui s’est passé, l’indemnisation des personnes, la reconnaissance par les auteurs de leurs crimes, la garantie de non-répétition, la prise en charge médicale pour ceux qui ont subi les violences sexuelles», souligne le CIJT.
Manque de volonté politique«Il faut éviter l’oubli et cultiver la mémoire», insiste, pour sa part, Roberto Garreton, consultant du centre. Ce dernier encourage la population à rompre avec le scepticisme et à faire pression sur les autorités politiques, judiciaires et législatives.Selon les associations qui aident les victimes, il appartient à ces dernières de s’organiser et de mettre en œuvre un programme de réparation qui puisse leur procurer soulagement et reconnaissance. D’après le constat des ONG, les dirigeants politiques ne semblent pas très favorables à l’idée de réparation par le truchement de la justice. Mais elles estiment qu’il ne peut y avoir de paix, de réconciliation sans dénonciation des crimes et leur réparation. «Tout cela prendra du temps et la population doit prendre patience tout en militant», conclut Roberto Garreton.

Pépé MIKWAInterCongo media/Syfia http://www.jdconline.net

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