jeudi 3 janvier 2008

16.12.07 Congo : la culture du viol (Le Vif/L'Express)

Dans l’est du Congo, déchiré depuis une décennie par les guerres et la chasse aux minerais précieux, des centaines de milliers de femmes ont été violées. A force d’impunité, les innombrables atrocités faites aux femmes sont banalisées et perdurent au-delà des conflits.
" La multiplication des agressions sexuelles à l’Est de la RDC donne froid dans le dos. Nulle part ailleurs sur cette planète, les femmes et les jeunes filles ne sont confrontées à de telles horreurs », déclarait en septembre Stephen Lewis, l’ancien envoyé spécial des Nations Unies pour le sida en Afrique. Depuis lors, la situation a encore empiré : les affrontements entre les insurgés dirigés par le général déchu Laurent Nkunda, les FDLR (rebelles hutus rwandais réfugiés au Congo) et l’armée congolaise ont déjà provoqué, en moins d’un an, le déplacement de 425.000 personnes. Pris entre deux feux, les villageois fuient et affluent vers des camps de fortune. Sur la route de cet exil, mais aussi dans les camps de déplacés situés à proximité des bastions de Nkunda ou de militaires brassés (anciens rebelles intégrés), les femmes et les enfants constituent des proies de choix. Dans un camp important autour de Goma, on parle d’une femme sur deux violée au cours de sa vie. Au camp de Mugunga II, un milicien nkundiste a arraché par les armes un enfant de sexe féminin du ventre de sa mère. « Qu’avons-nous fait pour ces hommes ?, se demandent, dans une lettre ouverte aux autorités, des femmes “partisanes de la paix”. Tous ceux-là qui se battent aujourd’hui, nous les avons gardés pendant 9 mois, nous les avons protégés contre les intempéries de ce monde. Comme remerciements, ils nous retournent le canon. Oh, femmes ! 83 femmes déplacées viennent - encore - d’être violées à Rutshuru. »

Le cri des femmes du Nord Kivu sera-t-il entendu ? L’expert onusien pointe le manque de détermination des autorités congolaises, les premières concernées, mais il n’exonère pas la communauté internationale. « La crise du Darfour retient davantage l’attention du monde que les 10 années de conflits à l’est du Congo, qui ont pourtant fait 10 à 20 fois plus de victimes. »
Eve Ensler, auteur de la pièce de théâtre Les Monologues du vagin et fondatrice de V-Day, mouvement destiné à mettre fin à la violence contre les femmes, parle de « féminicide » : « J’étais allée dans les “mines de viol” du monde, comme la Bosnie, l’Afghanistan et Haïti, des endroits où le viol était utilisé comme arme de guerre, mais rien de ce que j’avais vu ne m’a donné une impression aussi atroce et terrifiante que ce qui se passe là, les tortures sexuelles et la tentative d’élimination des femmes. La violence les menace toutes, les filles comme les femmes âgées des villages. »

Après le génocide rwandais, de nombreux extrémistes hutus se sont repliés dans l’est du Congo en y semant la violence. Des milices ont alors commencé à proliférer.

A partir de 1996 - l’avancée des rebelles conduits par Laurent Kabila - jusqu’à aujourd’hui, le viol, assorti de cruautés inimaginables, a été utilisé comme arme de guerre par toutes les factions, ainsi que par les armées dites régulières (congolaise, rwandaise, burundaise et ougandaise). A Mwenga, au Sud-Kivu, 15 femmes ont été enterrées vivantes par la rébellion soutenue par le Rwanda. Des miliciens Mayi-Mayi s’accrocheraient au cou des parties génitales féminines en guise de grigri, d’autres consomment les chairs de leurs victimes, obligeant parfois les proches à en faire autant. Le plus souvent, les femmes et les filles sont violées par plusieurs hommes sous les yeux de la famille. La violence est telle qu’en plus du traumatisme psychologique, les survivantes gardent des lésions physiques graves, sans parler du risque de grossesse et de maladies sexuellement transmissibles, comme le sida. « Une bombe qui continue à ravager longtemps après que les autres armes se sont tues », résume Marie Noël Cikuru, engagée dans l’accueil des femmes violées au Kivu. Aux yeux de son mari et de la société, la femme, perçue comme souillée, doit être rejetée. Les familles sont brisées, la vie sociale et économique anéantie. Sur le chemin de l’école, les fillettes marchent terrorisées comme les femmes, lorsqu’elles doivent aller chercher du bois, puiser l’eau ou travailler dans les champs pour nourrir la maisonnée. Au Kivu, des villages se vident, la menace est permanente.

Rien n’a arrêté la barbarie

« Aujourd’hui, les “tache-tache” (treillis militaires) commencent par violer, ce qui ne les empêche pas de piller ». Maddy Tiembe, Congolaise de Belgique et fondatrice d’une association de femmes de la diaspora, fustige une nouvelle forme de violence, le viol mécanique, dont le but est de blesser à vie. Un coup de fusil dans le vagin ou un coup de baïonnette détruisent les organes génitaux ou créent une fistule béante entre anus et vagin. Si la victime survit, elle ne peut plus marcher qu’à quatre pattes. Ou elle est rejetée à cause de l’odeur nauséabonde qu’elle dégage par la suite...

« Lorsque le viol est devenu une arme contre des groupes ciblés, personne n’a bronché, personne n’a été puni... Certains promoteurs de la violence ont même été portés au pouvoir », observe Marie Noël Cikuru. En Ituri, des chefs de guerre aux mains tachées de sang ont été intégrés dans l’armée comme officiers supérieurs, bénéficiant d’une immunité de facto. Du reste, comment et où porter plainte sans risquer des intimidations, voire un nouveau viol par les policiers ? A quoi cela servirait-il avec une justice qui ne fonctionne pas ? Le plus souvent, les rescapées gardent le silence. De toute façon, le risque est grand de voir l’affaire classée sans suite, le juge se laisser corrompre… Au mieux, le violeur est emprisonné quelques jours à peine.

Une culture de violence

« La tragédie, c’est que, lorsque la guerre s’arrête, les viols continuent », déplore Ross Mountain, le représentant des Nations unies en RDC. Les viols sont tellement nombreux qu’ils deviennent banals. Plus grave, suite à l’impunité, le fléau s’est répandu dans tout le pays parmi les hommes en uniforme puis a gagné les civils (famille, voisins, relations..), qui y ont pris goût. « Ils ne connaissent plus aucune limite, poursuit Marie Noël Cikulu. Des fillettes comme des femmes âgées sont violées au nom de croyances attribuant à ces rapports des pouvoirs thérapeutiques contre le sida. Tout est considéré comme permis parce que rien n’est prohibé, ni puni effectivement comme crime... » On observe une recrudescence de viols commis par des civils.

Nourrie de la misère des populations et de l’irresponsabilité des pouvoirs, mais surtout de l’impunité consacrée, la violence gangrène les fondements de la société et s’est installée dans la culture. Pour Kris Berwouts, directeur d’EURAC, un réseau d’ONG européennes actives en Afrique centrale, « les femmes sont réduites à des objets à jeter après usage ».

Béatrice PETIT

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