lundi 21 janvier 2008

Entretien avec François Bellet est chef de mission pour SOLIDARITES en RD Congo: janvier 2007

De passage au siège parisien, il nous livre son analyse de la situation humanitaire.
François Bellet en plein travail sur les hyper bornes-fontaines de Béni.
1- Pour mieux te connaîtreTon Nom et Prénom
« BELLET François »
Ton profil en quelques mots (études, formation, expérience associatives ou humanitaires, parcours professionnel...) ?
« Je me suis engagé assez jeune par moi-même dans les années soixante dix au sein de mouvements politiques tiers mondistes et de défense des droits de l'homme. De 15 à 18 ans, j'ai travaillé régulièrement sur des camps Emmaüs finançant des actions humanitaires telles que la défense juridique des paysans sans terre au Brésil. Après un BTS agricole, j'ai commencé dans la vie professionnelle en travaillant sur des exploitations agricoles du Sud Ouest. La suite de mes études s'est réalisée dans le cadre de la formation continue (Bioforce, Licence Eau, Ingénieur en Gestion de l'Eau). J'exerce plus généralement dans le domaine de l'eau potable ou de l'irrigation, alternant les expériences de travail en France et dans les PVD ».
Quel est ton Lieu de mission (pays, ville) et ton poste d'affectation ?
« Je suis Chef de la Mission SOLIDARITES en République Démocratique du Congo (RDC), basé dans l'Est à Goma, devenue en quelque sorte la capitale humanitaire du pays. »
En quoi consiste ton poste de chef de mission ?
« J'ai en charge une équipe de 35 expatriés et plus de 300 salariés nationaux. En 2006, nous avons géré plus de vingt programmes pour près d'un million de bénéficiaires dans les secteurs de l'eau et de l'assainissement, de la sécurité alimentaire, de l'éduction, de l'assistance d'urgence aux déplacés fuyant les conflits perdurant dans l'Est du pays. »
2- Ton arrivée sur le terrain
Depuis combien de temps as-tu rejoint SOLIDARITES en tant que chef de mission en RDC ?
« Je suis arrivé avec Solidarités en RDC en septembre 2004 comme Chef de Projet sur le programme de construction du nouveau réseau d'eau potable de la ville de Beni. Je suis Chef de Mission depuis 1 ans. Il s'agissait plus pour moi de donner un coup de main à l'association et à ses actions. Par delà les responsabilités et le défi, l'expérience est intéressante ».
Peux-tu nous décrire la situation humanitaire que tu as découverte en arrivant ?
« J'ai découvert en RDC une situation humanitaire dramatique pour nombres de populations villageoises victimes des exactions perpétrés par l'armée ou les milices. On a recensé cette année 1,1 million de déplacés fuyant les pillages, les tueries, les viols. Si l'amorce de la normalisation est indéniable grâce au bon déroulement des élections, la situation reste conflictuelle et très complexe. Les richesses minières dont regorge l'Est du pays favorisent l'entreprise guerrière. L'armée nationale, composée d'un ramassis des différentes factions, très peu respectueuse des populations, contribue à alimenter le rang des milices. »
Quels étaient les besoins des personnes ?
« Les populations fuyant les exactions avaient besoin d'une assistance d'urgence du fait de leurs déplacements. A l‘heure des retours, les populations se retrouvent de nouveau en complet dénuement, la guerre ayant détruit le peu d'infrastructures existantes. »
En quelques mots, qu'avons-nous faits pour y répondre ? (les programmes, actions de SOLIDARITES) ?
« L'action de Solidarités continue de se matérialiser par l'assistance aux déplacés, avec désormais une attention prédominante aux retournés :
- distribution de kits d'abris et nécessaires immédiats ;
- fourniture d'eau potable par installations temporaires, sources, puits ou adductions ;
- construction de latrines, incinérateurs ou fosses à déchets ;
- reconstruction ou extension d'écoles ;
- aide au retour avec kits d'outils de semence et d'aide à la relance agricole. »
Comment ces programmes ont ils été perçus par la population ?
« Solidarités est très reconnue par la population, par :
- son ancienneté, dans l'Est du pays depuis 6 ans ;
- sa présence dans des zones conflictuelles comme actuellement en Ituri ;
- la multiplicité de ses secteurs d'activités (abris et kits d'urgence, eau potable, assainissement, éduction, sécurité alimentaire) ;
- ses grands projets réputés comme le RRM (réponse rapide aux besoins des déplacés) ou le projet d'alimentation en eau potable de la ville de Beni ;
- le plein engagement humanitaire de ses volontaires, leur jeunesse et leur conviction. »
Dans ton travail quotidien, quelles sont les tâches les plus importantes ?
« Mes tâches principales sont multiples, à l'image de la conduite d'une entreprise couvrant de nombreux projets dans divers secteurs d'activités, avec une pleine vigilance aux besoins humanitaires. La surcharge de pression des rendus contractuels oblige à une grande tâche administrative. Pour quelqu'un du terrain comme moi, redoutant l'éloignement avec les bénéficiaires, je pense que l'important sur ce type de poste est de ne pas tomber dans une certaine bureaucratisation technocratique de l'humanitaire. Garder le sens des réalités, même si on ne les vit parfois que trop de derrière son bureau. »
3- La RDC en 2006
Cette année, SOLIDARITES a poursuivi son programme quant au soutien institutionnel à la gestion locale concertée du nouveau réseau d'eau potable de Béni ? Peux-tu nous éclairer sur ces programmes ? Combien de personnes en bénéficient actuellement ?
« Le projet de soutien institutionnel à la gestion locale concertée du nouveau réseau d'eau potable de Beni se déroule très bien. Les femmes représentantes des usagers ont acquis un réel pouvoir de contrôle. Leur poids politique oblige la Ville de Beni et la REGIDESO au bon fonctionnement de l'infrastructure. L'exploitant parapublique maîtrise en toute autonomie financière le fonctionnement technique des installations. Notre appui consiste à former le personnel à une meilleure maintenance préventive et à une meilleure gestion financière pour la durabilité d'un système desservant 170.000 habitants. »
Peux tu nous expliquer le principe du réseau de distribution de Béni. Qu'est ce que la rétro filtration ?
« Le réseau gravitaire est alimenté par 5 captages de rivières desservant en eau brute, par des adductions au travers des collines, la station de traitement à l'entrée de la ville. Le réseau de distribution alimente ensuite au total 84 hyper bornes-fontaines pour la ville. Le processus de rétro filtration biologique permet 5 à 6 filtrations en boucle. Les matières en suspension et les éléments pathogènes sont retenus et dégradés par un développement naturel de bonnes bactéries. Le système facile de maintenance est de surcroît économe en énergie. »
Quels sont les compétences des locaux dans le domaine de l'eau ? Comment participent-ils au programme ?
« La RDC a une forte expérience en traitement physico chimique et filtration biologique simple. Les deux formes de traitement apparaissent respectivement coûteux et lourds de maintenance. C'est pourquoi, malgré les doutes du début, la rétro filtration a été acceptée par la REGIDESO nationale. Aujourd'hui, la station de Beni est très bien maîtrisée par les techniciens locaux. Et l'eau parfaitement potable. »
Comment envisage-t-on le programme Béni 2 ?
« Le programme de Beni 2 prévoit la desserte des nouveaux quartiers périphériques (70.000 habitants) et la pose d'une micro centrale hydroélectrique pour favoriser l'autonomie énergétique de la station. Le projet prévoit aussi la réhabilitation partielle de l'ancienne infrastructure pour éviter les rivalités entre les abonnés privatifs et la population pauvre désormais bien desservie. »
Comment évolue le programme d'assistance élargie aux retours en Ituri? Combien de bénéficiaires ce projet concerne t-il ?
« Le programme d'aide au retour et à la réinstallation des anciens déplacés de l'Ituri évolue bien. Les transports ont repris en novembre sitôt la fin des élections présidentielles, jugée à haut risque. Pour autant, la reprise des combats le 24 décembre dans le nord de L'Ituri rappelle à la fragilité de la situation sécuritaire. Heureusement, notre programme concerne des retours s'arrêtant plus au sud. Et la motivation des populations est grande pour retourner à une vie normale loin des camps de déplacés. Pour les populations d'accueil, malgré la problématique foncière dans laquelle nous nous investissons, c'est d'abord une joie et un gage de stabilité politique de voir « le retour des frères ». »
Peux tu nous parler du programme RRM ? A qui bénéficie t-il ? En quoi ce projet est il une spécificité de SOLIDARITES ?
« Le programme RRM cible les déplacés de l'Est de la RDC. Au total, près d'un million de personnes ont été assistées. Ce projet contribue à atténuer la souffrance et à réparer modestement l'injustice faite aux populations fuyant les exactions. Nous intervenons par la distribution de kits d'urgence pour l'abri et le confort des familles, la fourniture d'eau potable et l'aménagement de service d'assainissement et d'hygiène, la réalisation d'extension d'écoles pour l'accueil des enfants des déplacés. Par exemple à Gety en Ituri, nous avons ainsi assisté 45.000 personnes pendant 3 mois, parant notamment au risque de développement d'une épidémie de choléra. Le projet a été et continue d'être une grande réussite par le plein engagement et le sérieux des équipes. »
D'une manière générale, qu'elles ont été les difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre de ces projets ?
« La difficulté majeure pour la mise en œuvre des projets, comparativement aux objectifs fixés, c'est en général le peu de moyens disponibles localement. Malgré le potentiel du pays, le manque d'infrastructures et les ravages de la guerre rendent toute action très contraignante. En matière de transport, d'approvisionnement, de savoirs faire locaux. Mais l'ancien Zaïre est aussi le pays de l'anormalité. Par défaut ici, rien ne marche dans le bon sens. La vigilance s'impose continuellement pour éviter les malfaçons techniques ou les détournements. Nous devons acceptés de composer avec des règles de jeu différentes de celles de nos idéaux, mais sans les perdre. Et notre pleine confiance envers de nombreux collègues congolais garde notre motivation intacte. »
4. Ton ressenti… Quels sont tes souvenirs les plus marquants ?
« Mon souvenir le plus marquant, c'est la joie des enfants quand est arrivée l'eau des collines pour la première fois à la nouvelle de station d'eau potable de Beni. Ils s'amusaient et jouaient comme des fous avec l'eau. Ce jour là, à mi chemin sur le projet, j'avais pu trouver à ressourcer notre folie qui nous motivait à réaliser l'impossible. »
Et pour toi, la suite c'est quoi ?
« Marié et père de 3 enfants, mes contraintes familiales m'obligent à mettre un terme à mon contrat. J'envisage de poursuivre dans l'humanitaire, avec plus de regard sur une certaine viabilité à la vie de famille… »

Notre action en RD Congo

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