dimanche 14 décembre 2008

Critiques d'un activisme figé contre les violences sexuelles

Emmanuel Chaco

KINSHASA, 9 déc (IPS) - Des politiques font de plus en plus une critique acerbe contre l'activisme des femmes congolaises autour des thèmes sur l'égalité des sexes et des droits ainsi que sur les violences sexuelles faites aux femmes en République démocratique du Congo (RDC).

Pour les uns, c'est un monologue, pour les autres c'est un combat "mono sexiste", et pour d'autres encore, un combat qui n'aboutit qu'à un "discours de copines" sans objectifs ni résultats concrets.

Cette critique est devenue, à tort ou à raison, plus forte avec le lancement, par le gouvernement congolais, des "16 jours d'activisme contre les violences sexuelles faites aux femmes en en RDC", sous la supervision du ministère du Genre, de la Famille et de l'Enfant.

Lancée depuis le 25 novembre, cette manifestation durera 16 jours et coûtera plus de 15.000 dollars, pour des résultats non encore clairement définis.

Pour certains, comme les initiateurs, notamment la ministre du Genre, de la Famille et de l'Enfant, Marie Ange Lukiana, c'est "un activisme offensif". Pour d'autres, c'est "un activisme de grands hôtels huppés et climatisés, qui n'aboutira à aucun résultat concret comme ceux organisés depuis de longues années et auxquels on est habitué". Dans tous les cas, les uns et les autres estiment, comme le professeur Jean-Claude Byebye, ancien député congolais, qu'il s'agit, une fois encore, d'une réunion sans enjeux majeurs.

En tout cas, la question posée continuellement tourne autour de l'efficacité réelle de l'engagement des femmes congolaises puisqu'au bout de deux décennies d'un discours apparemment convainquant, elles ne sont pas parvenues à se donner une place de choix dans les institutions issues des élections et en sont donc restées aux jérémiades, affirment des analystes.

Reprenant cette idée, Byebye considère que jusque-là, l'engagement des femmes congolaises ne s'est limité qu'aux discours opportunistes, sans contenu concret et sans actions programmées. En témoignent des réunions répétitives, avec les mêmes acteurs, dans des lieux huppés, après lesquelles des cocktails sont bien servis, comme ci ces rencontres étaient en elles-mêmes l'objectif, le moyen et le résultat, dit-il à IPS.

Le contenu des discours et exposés des participants est l'autre écueil : propositions de réformes, dénonciations des inégalités des droits et des sexes, demandes de renforcement des capacités sans trop donner les raisons des réformes revendiquées ni les résultats auxquels elles devraient aboutir.

Les femmes ne ciblent pas non plus les points faibles de leur engagement qui requièrent renforcement ni les résultats qualifiés et quantifiés à court, moyen et long terme, comme le reconnaissait encore Joséphine Ngalula, présidente du Réseau actions femmes (RAF), au cours d'une rencontre d'évaluation à mi-parcours des 16 jours d'activisme, le 3 décembre. Le RAF est une organisation non gouvernementale basée à Kinshasa, la capitale congolaise.

Les femmes, qui sont les vraies victimes des violences sexuelles, ont toujours été laissées en marge de toutes ces "réunions de grands hôtels" et elles ne servent que comme capital humain, pour la confection des "projets, qui depuis de longues années, n'ont rien donné". Et le nombre des femmes qui ont simplement besoin de se confier à leurs paires est devenu impressionnant, mais elles n'ont personne à qui se confier. Les "activistes" sont loin d'elles, souligne Byebye.

Sihaka Tsemo du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) à Kinshasa, pense autrement : "Un travail plus concerté donnerait des résultats meilleurs si les obstacles sont d'abord identifiés et évalués en même temps que les atouts et les défis que connaissent les femmes en matière de violences sexuelles. Viendront alors les élaborations de programmes avec des résultats précis auxquels on voudrait arriver".

Dans un effort de lutte contre l'impunité des violences sexuelles faites aux femmes, il y a d'abord la prévention, soulignent à IPS, Anne Marie Makombo, une ancienne députée et Jacqueline Rumb, une femme politique, responsable au sein du Réseau des femmes africaine ministres et parlementaires (REFAMP), une association sans but lucratif basée à Kinshasa.

Selon le REFAMP, la prévention des violences sexuelles devrait faire en sorte que les premiers destinataires de l'engagement des femmes et de ses résultats soient d'abord les policiers, les maires, les politiciens et les enfants de rues en tant qu'auteurs récurrents ainsi que les femmes du monde rural, des femmes peu ou pas instruites en tant que victimes potentielles.

Le REFAMP espère ainsi intégrer à court terme une ligne spécifique aux violences sexuelles faites aux femmes dans le budget de la RDC pour l'année 2010 en prenant en compte le travail qui doit d'abord être fait à la base avec les femmes nécessiteuses ainsi qu'aux côtés des auteurs potentiels de ces violences.

Selon des analystes, un défi d'engagement plus significatif en faveur des femmes et par les femmes existe certes; mais il reste encore à braver plusieurs mythes dont la loi du silence face aux tabous, les craintes de représailles ainsi que le manque de structures d'écoute et de protection pour les victimes, en dépit des milliers de dollars qui sont gaspillés toutes les semaines dans des rencontres presque inutiles. (FIN/2008)


Condamner la guerre ou ses conséquences ?
Le Conseil des droits de l’homme décide d’enquêter sur les causes de la guerre au Congo


Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a franchi un pas important en décidant de ne pas uniquement enquêter sur les violations des droits de l’homme au Kivu, mais d’examiner également les causes de ces violations. En d’autres termes, les États du tiers-monde n’acceptent plus d’être stigmatisés pour les abus commis lorsqu’ils se défendent. Ils veulent mettre en accusation les fauteurs de guerre, c’est-à-dire les nouvelles puissances coloniales.

La 8e session extraordinaire du Conseil des droits de l’homme consacrée à la situation dans l’Est du Congo a pris fin le 1er décembre. Après un débat contradictoire, la Résolution de l’Égypte, présentée au nom du groupe des pays africains, a été adoptée. Au nom de l’UE, la France a retiré sa Résolution. Ce texte n’évoquait pas la question des causes du conflit et ses opposants y voyaient la justification anticipée d’une éventuelle intervention militaire au Congo. [1]

Dans la Résolution, qui a été adoptée par consensus, le Conseil des droits de l’homme condamne non seulement les violences et les violations des droits de l’homme au Nord-Kivu, avant tout les abus sexuels et le recrutement d’enfants-soldats par les milices, mais il appelle également la communauté internationale à enquêter sérieusement sur les causes du conflit, notamment sur l’exploitation illégale des matières premières. Il veut contribuer ainsi à favoriser la paix et la stabilité en République démocratique du Congo (RDC) et à soutenir les efforts du gouvernement.

Le dimanche 1er décembre, la délégation de la RDC avait fait remarquer que la plupart des interventions faites jusque-là concernaient les conséquences du conflit et non ses causes [2]. Ainsi, le délégué Sébastien Mutomb Mujing a déclaré que l’envoi massif d’observateurs et de rapporteurs spéciaux ne contribuait pas à soulager les énormes souffrances de la population. Ce qu’il faut, c’est exercer de fortes pressions internationales sur les rebelles qui sèment la haine dans la région des Grands lacs. Il est vital que les réfugiés puissent rentrer chez eux.

Il a insisté sur le fait que l’armée du pays a été restructurée et qu’elle contient maintenant également des combattants d’anciens groupes rebelles qui commettent des violations des droits de l’homme et jettent le discrédit sur l’ensemble de l’armée.

En ce qui concerne les pays voisins, il a souligné le fait que certains d’entre eux sont devenus de très importants exportateurs de matières premières alors que leur sous-sol n’en contient pas. Font-ils donc tout pour empêcher une solution au conflit et la fin des massacres ?

Le résultat de la session extraordinaire montre que les pays africains ont gagné en assurance et ne se laissent plus commander par le monde occidental. De plus en plus de responsables africains sont conscients maintenant que les États leaders de l’UE et les USA veulent installer une nouvelle domination coloniale sur l’Afrique, pire que celle des décennies passées. Et les Africains n’accepteront pas cela.

Pour les habitants des pays industrialisés également, la nouvelle politique coloniale ne vise que les profits d’un petit nombre de personnes. Les énormes dépenses d’armement se font toujours au détriment des hommes, si bien que dans les pays « riches » comme les États-Unis ou l’Allemagne, la pauvreté prend une ampleur alarmante. Ainsi, en Allemagne, on trouve de nouveau des enfants qui ont faim.

Le fait que les gouvernements occidentaux continuent de miser sur la guerre apparaît de manière exemplaire dans la politique des États-Unis et dans le développement de leur Centre de commandement pour l’Afrique, l’AFRICOM. Il y a quelque temps, le gouvernement états-unien voulait déplacer le siège de l’AFRICOM en Afrique, mais aucun État africain n’a été d’accord de l’accueillir, si bien qu’il a dû rester à Stuttgart [3]. Toutefois, l’AFRICOM a été développé et une importante ambassade a été créée à Goma, dans l’Est de la RDC. Selon des sources congolaises, les États-Unis ont installé au Rwanda, près de la frontière avec la province du Kivu, une base militaire construite par la firme Halliburton [4]. C’est à peu près à ce moment-là que les conflits ont éclaté, et pas uniquement dans l’Est du Congo. On a également monté en épingle dans les médias la question de la piraterie au large de la Somalie afin de justifier une intervention militaire de l’UE et des USA après qu’on eut essayé, deux ans auparavant, d’écarter ceux qui, en Somalie, luttaient véritablement contre les pirates.

Des analystes comme F. William Engdahl [5] supposent que ce qui intéresse l’UE et les USA, ce ne sont ni les droits de l’homme ni les attaques de pirates (manigancées ?) mais la mainmise directe sur la Corne de l’Afrique riche en matières premières, qui va du Golfe d’Aden au Soudan et à l’Est de la RDC [6] . À cela s’ajoute le contrôle des voies de transport dans l’océan Indien. L’UE et les USA considèrent comme une « menace » que la Chine ait pris pied depuis quelques années déjà en Afrique et ait conclu des contrats équitables avec les États africains.

La Chine a conclu avec le gouvernement congolais un contrat de 9 milliards de dollars qui assure à des entreprises chinoises l’accès à 10,6 millions de tonnes de cuivre et à plus de 600000 tonnes de cobalt. En contrepartie, Pékin a promis d’investir 6 milliards de dollars dans la construction de routes, de chemins de fer, de centrales hydrauliques, d’hôpitaux et d’écoles ainsi que 3 milliards dans des projets miniers.

Le chef des rebelles Nkunda, pendant de longues années compagnon de lutte du président rwandais Paul Kagame, s’oppose à cela et a déjà menacé d’envahir le Kinshasa. Sous prétexte de protéger une minorité tutsie dans l’Est du Congo, il lutte pour étendre le contrôle rwandais sur le Congo afin de continuer à piller ses richesses minières et les livrer à ses commanditaires de l’UE et des USA. Depuis des années, les matières premières passent illégalement à l’étranger via le Rwanda. Selon des rapports d’experts de l’ONU, la vente illégale de coltan, minerai très convoité, a, au cours des 18 derniers mois, rapporté 250 millions de dollars à l’armée rwandaise. Le Rwanda est soutenu par les États-Unis et l’Allemagne.




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[1] « La RDC est prise en tenailles par les pays industrialisés » et « Les massacres se poursuivent à l’Est du Congo, tandis que la diplomatie prend son temps », par Peter Küpfer, Horizons et débats n° 48 du 1er décembre 2008.

[2] « Empêcher les multinationales de continuer leur commerce morbide », Horizons et débats n° 48 du 1er décembre 2008.

[3] « Triste activation pour l’AfriCom », par Stefano Liberti, Réseau Voltaire, 6 octobre 2008.

[4] Lire notre enquête en deux volets : « Halliburton ou le pillage de l’État » et « Halliburton, profiteur de guerre », par Arthur Lepic, Réseau Voltaire, 16 et 23 septembre 2004.

[5] « AFRICOM, China und die Kriege im Kongo », par F. William Engdahl ,Koop Verlag, 27 novembre 2008.

[6] « Quelques réflexions sur la "piraterie" moderne », communiqué du ministre érythréen des Affaires étrangères, Horizons et débats, 8 décembre 2008.

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