mardi 3 février 2009

Bas-Congo : le préservatif féminin utile mais peu apprécié

29-01-2009
par Alphonse Safari Byuma


(Syfia Grands Lacs/Rd Congo) Peu connu le préservatif féminin reste beaucoup moins utilisé que le condom masculin en République démocratique du Congo, notamment au Bas-Congo à l’ouest de Kinshasa. Efficace pour lutter contre les maladies sexuellement transmissibles et les grossesses indésirables, il est cependant mal accepté par les femmes.

Depuis plusieurs mois, un spot publicitaire diffusé sur les chaînes de télévisions de Matadi, chef-lieu de la province du Bas-Congo à l’ouest de Kinshasa, met en scène deux jeunes filles en quête d’un condom féminin. "Nous cherchons le préservatif, le nôtre", clament-elles, s’adressant à un pharmacien. Lancé par l’Association pour le bien-être familial/Naissances désirables (Abf-Nd), ce spot a été conçu pour encourager les femmes de la région à faire usage de ce précieux outil de protection contre les maladies sexuellement transmissibles (Mst) et les grossesses non désirées. Ce condom est en effet très peu connu des gens au Bas-Congo et dans les autres provinces du pays. "J’ai appris qu’il existe mais je ne l’ai jamais vu", reconnaît Ruth Menga, devant un éducateur social de l’Abf-Nd, qui s’emploie à le vulgariser auprès du grand public.
A Matadi comme dans d’autres villes de la République démocratique du Congo, c’est plutôt le condom masculin qui est mieux connu et le plus souvent utilisé. Selon un récent rapport de l’Abf-Nd, environ 180 000 préservatifs masculins ont en effet été vendus ou distribués au Bas-Congo entre 2005 et 2007, contre près de 4 000 préservatifs féminins. "Cela est du à la faible sensibilisation des femmes", estime Simon Bamona, coordonnateur provincial intérimaire de cette Ong.

"Une histoire effrayante…"
Les femmes qui en connaissent l’usage restent cependant peu enclines à l'utiliser pour plusieurs raisons. Parmi elles il y a le poids de la tradition. Les tabous sur les questions de sexe sont si pesants dans la région que beaucoup n’osent pas prendre la liberté d'en parler aux hommes, surtout au foyer. "Je ne vois pas comment le proposer à mon époux. Il risque de me soupçonner d’infidélité ou d’être atteinte d'une maladie", dit une femme qui fait pourtant partie d’une structure de lutte contre le Sida. Elle préfère que ce soit lui qui porte "son préservatif."
Certaines femmes trouvent par ailleurs le préservatif féminin "trop visqueux et difficile à utiliser." "Je ne peux pas introduire cette histoire effrayante dans mon corps", s’écrie M.N., une jeune étudiante de Matadi. Une crainte qu’essaye de dissiper Jean de dieu Kanakaro de l’Association Santé familiale (Asf), une Ong qui lutte contre la malaria, le Vih/Sida et bat campagne en faveur de la planification familiale : "Très solide et très doux, ce préservatif peut être utilisé avec un lubrifiant à base d’eau, ce qui le rend très agréable et améliore le confort, rassure-t-il. Bien lavé et désinfecté, il peut être posé longtemps avant les rapports et être réutilisé une dizaine de fois au maximum."
Autre handicap majeur, ce moyen de protection contre les Mst est difficile à trouver dans les officines de la province. "Il n’est pas demandé et se vend plus cher que le condom masculin", affirme Gaston Milemeo, vendeur dans une pharmacie. Là où on en trouve, il est vendu à 250 Fc (0,35 $) la pièce, contre 100 Fc (0,14 $) pour un paquet de trois condoms masculins.

Les prostituées plus réceptives
C’est parmi les prostituées que l’usage de ce préservatif trouve par contre un écho favorable. Au camp Tchel de Matadi où nombre d’entre elles se sont installées, on en trouve parfois jetés dans des caniveaux, après leur usage. L’une d’elles explique pourquoi elle l’utilise : "Les hommes ne sont pas toujours tendres envers nous. Leur brutalité déchire parfois leur propre capote et cela nous expose aux maladies. Depuis que je sais que le ‘nôtre’ existe, j’en ai en permanence." Pour ce groupe de femmes de plus en plus conscientes des risques qu’elles courent en ayant plusieurs partenaires sexuels, l’Asf organise chaque mois des rencontres pour les encourager à faire le test de dépistage des Mst.
Mais, pour convaincre une grande partie de femmes à accepter l’usage du préservatif féminin, certaines d’entre elles pensent que la meilleure solution serait d’impliquer les hommes dans cette campagne. "Il faut une bonne vulgarisation chez l’homme qui pourra à son tour convaincre la femme", suggère Liliane Mubika, une journaliste de la station locale de la Radio télévision nationale congolaise (Rtnc)


Rutshuru : les déplacés, entre crainte et espoir de retour
29-01-09 par Paul Durand

(Syfia Grands Lacs/RD Congo) La reprise de Rutshuru par l’armée congolaise, le 22 janvier, donne à certains déplacés l’espoir de rentrer chez eux. Mais les incertitudes et les craintes persistent à Kiwanja, où un village de huttes s’est établi à l’ombre du camp de la Monuc. Reportage par un journaliste qui retrouve la ville qu’il a dû lui-même fuir il y a trois mois.


A Kinwanja, près de Rutshuru, au Nord-Kivu, le quartier général de la Monuc est comme englouti par des centaines de huttes couvertes de bâches blanches, construites serrées les unes contre les autres. Début novembre 2008, après de violents combats entre les Maï-Maï et le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de Laurent Nkunda, des milliers d’habitants de Rutshuru et des environs se sont réfugiés soit à l’hôpital, soit ici, juste à côté de la base du contingent indien de la Monuc, dont ils attendaient aide et – surtout – protection. Aujourd’hui, presque trois mois plus tard, près de 2000 ménages vivent encore dans ce camp de déplacés, dans des conditions de logement déplorables. Mais le retrait du CNDP, dont le chef Laurent Nkunda est en résidence surveillée au Rwanda, le 22 janvier et la reprise de la région par l’armée officielle leur laissent entrevoir un retour chez eux.
A quelques mètres des huttes, l’entrée de l’aérodrome a est devenu un marché où femmes, vieux et enfants vendent des bananes, des avocats, des mangues, de la farine, du maïs, du savon, de l'huile végétale… De chaque côté de l’artère principale, des cases ont été transformées en débits de boissons traditionnelles. Certaines femmes de Kiwanja passent ici des journées entières à vendre leurs marchandises. "Je m'installe parce que dans mon quartier, je ne gagne pas beaucoup d'argent, explique Bi Jeanne, du quartier Buzito, assise dernière son étalage. Par contre ici, je peux facilement vendre pour 10 dollars par jour."
Parmi les femmes, certaines sont traumatisées par les violences sexuelles qu'elles ont subies et qu’elles n’acceptent de raconter qu'anonymement. Comme B. M., la quarantaine, originaire du groupement de Bukoma : "Je suis seule, mon mari a épousé une autre femme depuis que j’ai été violée par un homme armé dans la brousse où je me cachais. Ce bandit avait tiré sur ma fillette et comme mon mari avait pris la fuite, il n'a eu aucun mal à me prendre de force". Lorsqu’on lui demande qui est le père de l’enfant qu’elle porte dans ses bras, B. M. montre sa gêne: "J’étais enceinte avant d'être violée. Mon mari le sait bien, mais par crainte que je sois contaminée par le VIH/sida, il ne veut tout simplement plus de moi. Pourtant, j'ai été examinée et je suis séronégative."

Des traces profondes
M. E. aussi a été victime de violences lors de la guerre entre le CNDP de Laurent Nkunda et les forces gouvernementales : "J’étais aux champs quand la guerre a commencé. Je venais d'y passer trois jours. Trois hommes armés sont arrivés et m’ont violée. Je me suis fait soigner dans une structure de santé pour des troubles gynécologiques, mais je traîne encore les séquelles de ce viol."
Dans ce contexte de violence, la population locale n'a eu d'autre choix que de quitter maisons et villages pour trouver refuge aux alentours de la base de la Monuc. "La vie n’était plus possible là-bas. La seule présence d'un militaire du CNDP suffisait à installer la panique. Tout le monde se terrait dans sa case", explique M. Bazibaza, président du camp.
Ces expériences traumatisantes expliquent la méfiance qui continue de régner parmi ces déplacés. Certes, la reprise de Rutshuru par les forces gouvernementales fait naître un espoir de retour, précise le chef du camp. Mais la peur n’a pas disparu. La région reste fortement militarisée, avec la présence de l’armée congolaise, des troupes rwandaises et de quelques éléments du CNDP. Seul l’uniforme change : ce sont toujours des hommes en armes.
Le 27 janvier, M. Bazibaza a annoncé que la décision de retour aux villages d’origine des déplacés avait été prise. "Tout le monde est d’accord pour rentrer, mais nous avons besoin de l'aide des ONG pour faciliter les rapatriements", a-t-il ajouté. Ce n’est pas encore fait. En attendant, depuis quelques jours, les femmes du camp bénéficient d’une formation en coupe et couture, à l'initiative de la capitaine Alame, chargée de la communication publique à la Monuc : "Cette initiative a pour but de permettre à ces femmes de se prendre en charge quand elles seront de retour chez elles", explique-t-elle. Mais comme rien n’est sûr, une Ong française a malgré tout construit des latrines aux alentours du camp et assuré l'approvisionnement régulier en eau.

Goma : rire pour oublier les atrocités

22-01-2009
par Papy Okito Teme

(Syfia Grands Lacs/RD Congo) Depuis quelques mois, la population de Goma retrouve le sourire et la joie de vivre grâce à la comédie. Des acteurs bénévoles animent des rencontres avec ceux qui, à cause de la guerre, n'avaient plus le cœur à rire.

"Cela fait plusieurs mois que mon mari et moi avons retrouvé le sourire. À cause de la guerre, nous étions toujours tendus et inquiets et nous ne savions pas comment nous sortir de cette situation. On ne se disait plus de mots gentils que lorsque l'on voulait faire l’amour, nous confie une habitante de Goma, au Nord-Kivu. Tout cela est dû aux traumatismes de la guerre et aux difficultés qu’elle a entraînées. À Masisi, Rutshuru et même ici en ville, les gens ont tout perdu : vaches, meubles, argent..."
Depuis début septembre, au Nord-Kivu en général et à Goma en particulier, des comédiens se sont mobilisés pour redonner le sourire à ces populations victimes de viols, de pillages, d'atrocités en tout genre. À Goma, "8 familles sur 10 ont retrouvé le sourire et la joie de vivre", nous dit Célestin Chiza, le chef de bureau de la division Genre famille et enfants. En effet, "as-tu entendu hier à la télévision Papa Kopo (un comédien local, ndlr) dire : une femme qui ne sourit pas risque d'attraper des rides et faire fuir les hommes ?", demande une femme à sa compagne, au marché Kibabi de Birere, un quartier populaire. Et l'autre de répondre : "Une bonne femme doit savoir quel morceau du poulet son mari aime manger, sinon elle risque d’être répudiée par ce dernier". Toutes deux éclatent de rire, en même temps qu'elles préparent leurs étalages de légumes. Il en va de même chaque matin sur ce marché et sur d'autres, et même au sein des familles.

Un remède efficace
D’après plusieurs spécialistes, le rire est un remède efficace pour les personnes traumatisées. Voilà pourquoi des gens de théâtre ont pris l'initiative de participer gratuitement aux animations organisées par les Ongs qui s’occupent des femmes violées pour leur apporter un soutien moral.
"La première des choses que nous faisons quand nous accueillons une femme violée, c’est de lui faire penser à autre chose. C'est pourquoi nous étions très contents quand nous avons appris que les comédiens allaient organiser des animations pour faire oublier les atrocités de la guerre", témoigne le docteur Mudogo, psychologue à l’hôpital Heal Africa, à Goma, qui prend en charge les femmes violées. Selon le médecin, "ces femmes, quand elles voient ces comédiens bouger, danser et chanter, ne pensent plus à ce qu’elles ont vécu. Elles recommencent à sourire et après le départ des comédiens, elles continuent pendant longtemps à se raconter les blagues, ce qui leur permet d'oublier la guerre et ses effets sur leur moral."
"Mon groupe et moi, nous nous sommes engagés à faire une tournée dans trois grands hôpitaux de la ville et dans certaines écoles, pour faire passer quelques messages d’espoir et, grâce à la comédie, permettre à tous ceux qui l'ont perdu de retrouver le sourire", explique Papa Kopo, comédien et président du groupe Nyiragongo. Djasadjasa, comédien indépendant, ajoute : "Nous sommes conscients que certaines familles ont perdu le goût du rire, car elles sont traumatisées par les guerres à répétition. Elles ne dorment plus parce qu’elles ne savent pas ce qui va leur arriver le lendemain."
Les médias collaborent : "Nous avons décidé, en accord avec le ministre provincial de la Culture et des Arts, de prendre 20 minutes d’antenne à la Radio Télévision nationale congolaise du Nord-Kivu pour amuser la population, afin de faire oublier les atrocités de la guerre. Le directeur de la chaîne a accepté ce programme qui pourrait s'étaler sur toute l'année 2009."
"Djasadjasa est un comédien qui nous plaît beaucoup avec ses histoires amusantes. Il nous amuse, mais nous fait aussi réfléchir sur notre sort, en déclarant qu'une femme violée ne devrait pas être chassée par son mari ni être rejetée par sa famille", explique une victime de viol à Walikale. Bibiche Mugaruka, qui a perdu tous ses biens à Rutshuru et vit maintenant à Goma, témoigne : "Après avoir été dépossédée de tout, j’avais perdu mon sourire. Mais ici, ces comédiens m’aident à le retrouver. C'est avec un réel plaisir que je suis les sketches qui ont un rôle capital pour dépasser mon traumatisme."
Á Goma et dans ses environs, que ce soit en famille, au travail ou au marché, les prestations des comédiens font l'objet de discussions et de commentaires élogieux de la part des populations. Et les sourires s'affichent sur nombre de visages…

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