vendredi 30 novembre 2007

Kisangani : les femmes fistuleuses rejetées peuvent être soignées

Rejetées par leurs proches, les femmes devenues fistuleuses souvent à la suite d'un viol, ont bien du mal à vivre. A Kisangani, où elles sont nombreuses, une centaine d'entre elles sont actuellement soignées gratuitement.

"Je suis devenue deuxième bureau (on appelle ainsi la deuxième femme en RDC, ndlr) depuis que je souffre de fistule. Il y a une année, mon mari m’a répudiée", déclare M.M., une jeune fille de 20 ans, admise à l’hôpital général de référence de Kisangani, au nord-est de la République démocratique du Congo. Elle est arrivée depuis octobre d’Ubundu en amont du fleuve Congo, à 125 km de Kisangani. "Mon mari n’entrait plus dans ma chambre. Il fallait que mon père intervienne pour qu’il me donne à manger. Il a fini par me renvoyer", ajoute-t-elle, éplorée. L’unique enfant né de leur union lui a même été ravi. Selon les médecins, la fistule vésico-vaginale ou vésico-recto-vaginale est une déchirure des muqueuses qui se crée entre le vagin et la vessie ou le rectum à la suite d'un viol subi par la femme ou lors d'un accouchement difficile sans assistance médicale. La femme ainsi malade laisse couler ses urines et matières fécales de façon incontrôlée. Sale, dégageant de mauvaises odeurs, tout le monde la fuit.Une centaine de cas de femmes fistuleuses sont connus à Kisangani et dans ses environs. Mais honteuses de leur état, les plus nombreuses vivent cachées. Depuis janvier, plus de 80 cas de fistule ont été portés à la connaissance de l’antenne provinciale de l'UNFPA (Fonds des Nations unies pour la population) à Kisangani. Ces femmes sont pour la plupart des pauvres et des analphabètes vivant dans les zones rurales les plus reculées. Dans la Province Orientale comme dans tout l’est de la RDC, les fistuleuses sont nombreuses à cause principalement des viols et violences sexuelles perpétrés par les hommes en arme. A cela s’ajoutent les grossesses précoces et l’absence de consultation prénatale.

Pas une maladie satanique"Les cas de fistule qui arrivent dans mon centre, proviennent majoritairement des zones périphériques (Il s’agit des axes routiers Banalia, Ubundu, Bafwasende et Opala - zones minières en proie à des bandes armées)", affirme Adelard Lofungula, médecin directeur de l’hôpital général de référence de Kisangani qui dit avoir réparé quelques 19 cas depuis mars dernier. "Les fistules ne sont pas incurables", rappelle le docteur. Après une intervention chirurgicale, il parvient à remettre en état les muqueuses vaginales et la malade peut revivre normalement.Mi-novembre, dans le même centre hospitalier, trois autres femmes violées ont été opérées. "Ma belle sœur était devenue insupportable", avoue une femme d’une cinquantaine d’année, assise, l’air hagarde, devant l’hôpital. Elle et son frère ont dû s’éloigner de la malade pendant longtemps avant de se raviser et de l’accompagner à l’hôpital, "tant elle sentait très mauvais à cause des urines et des selles qui dégoulinaient de son appareil génital et on la soupçonnait d’avoir une maladie satanique".Même le personnel soignant doit faire preuve d'héroïsme pour assister ces malades. Une infirmière témoigne que certains gardes malades de fistule désertent l’hôpital pour toujours, prétextant partir chercher un approvisionnement. Très longue, pas moins de deux mois, l’hospitalisation des fistuleuses, bien que gratuite depuis la prise en charge des victimes des violences sexuelles par l’UNFPA en RD Congo, est pourtant onéreuse pour la famille. Elles sont souvent abandonnées par leurs proches qui ne peuvent supporter leur restauration durant l'hospitalisation.

La communauté s’implique "Je me bats très difficilement pour chercher juste une botte de pondu (feuille de manioc), pour nourrir ma femme", témoigne, angoissé et gêné, ce jeune homme de Bafwasende (300 km à l’est de Kisangani) dont l’épouse souffre de cette affection qu’il n’ose nommer en public. Pour tenter de résoudre cette situation, une sensibilisation est menée auprès des commerçants et autorités politiques de Kisangani. Mi-novembre courant, un plaidoyer a été lancé auprès de la Fédération des entreprises du Congo/Kisangani (FEC). "Nous avons collecté plus de mille dollars américains", explique le Dr Giselle Lowa, coordinatrice de la synergie de lutte contre les violences sexuelles en Province Orientale. "Les images et les statistiques projetées sur l’ampleur des violences sexuelles, surtout la fistule nous ont fort interpellés et nous nous sommes engagés à nous impliquer", affirme Jean-Claude Kassongo, directeur d’une entreprise brassicole de la place. Depuis le 20 novembre, à Kisangani, une équipe récolte les fonds auprès des opérateurs économiques ayant souscrit volontairement pour venir en aide aux femmes fistuleuses internées à l’hôpital. Le médecin directeur de l’hôpital de référence où sont soignées ces femmes, suggère l’institution d’un programme national pour la prévention et la réinsertion des femmes fistuleuses.

Ernest MukuliKisangani, 30/11/2007 (Syfia Grands Lacs, via mediacongo.net)

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