mardi 25 mars 2008

Sénat de Belgique : Résolution relative aux viols et aux violences sexuelles contre les femmes dans l'est de la République démocratique du Congo

SESSION DE 2007-2008
13 MARS 2008

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TEXTE ADOPTÉ EN SÉANCE PLÉNIÈRE

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Vu la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948, la Convention des Nations unies du 18 décembre 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, la Déclaration des Nations unies du 20 décembre 1993 sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes et la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant;

B. Considérant que les droits des femmes et des jeunes filles sont inaliénables et font intégralement et indissolublement partie des droits humains universels, ainsi qu'il est précisé dans la Déclaration de la Conférence mondiale de Vienne de 1993 sur les droits de l'homme;

C. Vu les quatre Conventions de Genève de 1949 et les protocoles additionnels y afférents de 1977, qui prévoient qu'en situation de conflit armé, les femmes doivent bénéficier d'une protection spéciale, en particulier contre le viol, la prostitution forcée et tout attentat à la pudeur;

D. Rappelant la considération générale nº 19 de la Convention des Nations unies de 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDEF), qui prie les États parties à la Convention de protéger les femmes contre toute forme de violence fondée sur le sexe et de lutter contre les sévices sexuels, en particulier en temps de guerre et de conflit armé;

E. Vu la Convention relative aux droits de l'enfant de 1989, qui prévoit que les enfants doivent être protégés contre toute forme de violence physique et mentale, y compris les sévices sexuels et l'exploitation sexuelle, et qu'ils doivent bénéficier d'une protection spéciale en temps de guerre;

F. Vu la déclaration et la plate-forme d'action de la quatrième Conférence mondiale des Nations unies, qui s'est tenue à Beijing en septembre 1995, en particulier le point E concernant les femmes et les conflits armés, et vu le document final de Beijing +5 adopté à New York en 2000;

G. Vu les articles 7 et 8 du Statut de Rome créant la Cour pénale internationale, dans lesquels l'utilisation généralisée et systématique du viol, de l'esclavage sexuel, de la prostitution forcée, de la grossesse forcée, de la stérilisation forcée ou de toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable et d'autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale est définie comme un crime contre l'humanité et comme un crime de guerre;

H. Vu la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies adoptée en 2000, qui demande à toutes les parties à un conflit armé de prendre des mesures pour protéger les femmes et les petites filles contre les actes de violence sexiste, en particulier le viol et les autres formes de sévices sexuels, ainsi que contre toutes les autres formes de violence dans les situations de conflit armé, qui souligne qu'il est de la responsabilité de tous les États de mettre fin à l'impunité et de poursuivre en justice ceux qui sont accusés de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, y compris toutes les formes de violence sexiste et autre contre les femmes et les petites filles, qui insiste sur la nécessité d'exclure si possible ces crimes du bénéfice des mesures d'amnistie et qui demande qu'une attention toute particulière soit accordée à la dimension du genre dans le cadre du processus de paix et de la maîtrise des conflits;

I. Vu l'appel lancé à Bruxelles, le 23 juin 2006, à l'occasion de la conférence internationale « Violences sexuelles dans les conflits et au-delà », organisée par le gouvernement belge, le Fonds des Nations unies pour la population et la Commission européenne, qui plaide pour une tolérance zéro à l'égard des actes de violence sexuelle;

J. Vu la résolution 2005/2215 du Parlement européen sur la situation des femmes dans les conflits armés et leur rôle dans la reconstruction et le processus démocratique dans les pays en situation post-conflit;

K. Vu la résolution 1674 (2006) du Conseil de sécurité des Nations unies relative à la protection des civils dans les conflits armés et la résolution 1756 (2007) du Conseil de sécurité des Nations unies relative à la situation concernant la République démocratique du Congo;

L. Vu la déclaration conjointe « Halte à la violence contre les femmes au Congo » faite par les ministres européens de la Coopération au développement le 24 septembre 2007;

M. Vu la résolution de la Chambre des représentants de Belgique du 8 décembre 2005 relative aux violences sexuelles en République démocratique du Congo;

N. Vu les liens particuliers entre la Belgique et la République démocratique du Congo;

O. Vu la participation de la Belgique au Conseil de sécurité des Nations unies et la présidence du Bureau de la Commission de la Condition de la Femme que la Belgique assurera au cours de la période 2008-2009;

P. Étant donné l'annonce de la désignation d'un facilitateur de haut niveau chargé de favoriser le dialogue entre les parties belligérantes, à la suite de la concertation « P3+2 » de septembre dernier avec les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l'Afrique du Sud, au cours de laquelle on a tenté de trouver une solution à la crise au Nord-Kivu;

Q. Vu les articles 167, 168, 170 et 171 du Code pénal de la République démocratique du Congo qui concernent la violence sexuelle, et vu la loi sur la violence sexuelle adoptée en juillet 2006;

R. Étant donné que les autorités congolaises ont entamé, le 19 septembre 2007, l'élaboration d'un plan d'action national dans le cadre de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies;

S. Se référant au rapport sur la RDC remis en septembre 2007 au Conseil de sécurité des Nations unies par le sous-secrétaire général des Nations unies, John Holmes, qui plaide en faveur d'une augmentation de la lutte contre les violences sexuelles, et aux rapports d'Amnesty International relatifs aux violences perpétrées contre les femmes dans les situations de conflit;

T. Considérant que les viols et les violences sexuelles à l'encontre des femmes et des jeunes filles sont délibérément utilisés comme arme de guerre stratégique par les belligérants dans les conflits armés;

U. Vu les événements dramatiques qui ont lieu dans l'est du Congo, où des femmes sont victimes de viols, de violences sexuelles et de mutilations, et ce, à une échelle sans précédent;

V. Considérant le climat d'impunité dû à la guerre qui règne dans l'est du Congo, y compris pour les auteurs de viols, de violences sexuelles et de mutilations;

W. Étant donné que, dans un grand nombre de cas, les victimes de viols, de violences sexuelles ou de mutilations au Congo sont stigmatisées et qu'il est difficile, en temps de guerre, d'évaluer précisément le nombre total de victimes;

X. Vu l'augmentation du nombre de contaminations par le virus du sida, dues à ces violences sexuelles infligées aux femmes;

Y. Considérant que les victimes d'abus sexuels dans des zones de conflit, y compris dans l'est du Congo, bénéficient rarement de la protection, de la prise en charge psychologique, des soins médicaux et de l'aide juridique jugés nécessaires;

Z. Considérant que le mandat actuel de la MONUC est trop limité pour qu'elle puisse intervenir en vue de protéger les femmes et les jeunes filles congolaises contre les viols, les violences sexuelles et les mutilations;

AA. Étant donné que les femmes sont trop peu représentées aux niveaux national et international dans la politique de prévention et de maîtrise des conflits ainsi que dans les négociations de paix officielles, et que l'on ne tient pas suffisamment compte des droits et des intérêts des femmes dans le cadre de la prévention, de la maîtrise et de la résolution de conflits;

BB. Considérant que malgré le nombre effrayant de victimes de tortures sexuelles, la brutalité et la violence inouïes des crimes commis, véritablement sans précédent, et le nombre d'années qui se sont écoulées depuis que ces crimes contre l'humanité ont été commis, aucune protection efficace des populations n'a été véritablement mise en place par les autorités congolaises et la MONUC;

CC. Vu la résolution 1794 (21 décembre 2007) du Conseil de sécurité des Nations unies qui souligne que la protection des civils doit être prioritaire lorsqu'il s'agit de décider de l'usage et des capacités de ressources disponibles et qui rappelle que la MONUC a pour mandat d'utiliser tous les moyens nécessaires pour protéger les civils exposés à la menace imminente de violences physiques;

DD. Se réjouissant des actes d'engagements signés en janvier 2008 à Goma par tous les groupes armés du Kivu en faveur de la paix et déplorant la décision du 22 février du CNDP de Laurent Nkunda de suspendre sa participation aux réunions de suivi du cessez-le-feu;

EE. Se réjouissant de l'arrestation, le 7 février 2008, de Mathieu Ngudjolo Chui, colonel de l'armée du gouvernement de la RDC, qui a été remis à la Cour pénale internationale et est accusé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis contre l'ethnie hema entre janvier et mars 2003, alors qu'il faisait partie du FNI (Front des nationalistes et intégrationnistes), cette arrestation portant à trois seulement le nombre de personnes déférées à la CPI par le gouvernement de la RDC;

Le Sénat,
Bouleversé par les témoignages recueillis lors de la mission de certains de ses membres en janvier et février 2008 dans l'est du Congo, auprès de femmes violées, torturées et maintenant abandonnées et laissées le plus souvent sans assistance;

Persuadé que face à l'ampleur et à la durée du drame que subissent les victimes de violences sexuelles au Congo, les mesures visant à la protection, à la prévention, à la sanction et à l'assistance aux victimes sont très insuffisantes;
Inquiet de l'indifférence du monde face à un drame humain d'une ampleur sans précédent;
Affirmant que la Belgique et l'Europe ne peuvent plus tolérer la persistance et la répétition de ces crimes;

Lance un cri d'alarme aux autorités congolaises, aux groupes belligérants, à la communauté internationale et au gouvernement belge pour que soit enfin mis un terme aux souffrances indescriptibles que subissent les femmes congolaises, les enfants et les hommes congolais victimes de tortures sexuelles en RDC;

Décide d'organiser une table ronde sur le thème des violations sexuelles en temps de guerre en préparation du prochain débat thématique du Conseil de sécurité des Nations unies d'octobre 2008;

Demande au gouvernement fédéral:

1. de poursuivre les efforts fournis actuellement, afin que la problématique congolaise reste inscrite à l'ordre du jour européen et international, et de veiller à ce que soient respectés les accords qui ont été conclus à l'issue de la conférence de paix de Goma du 25 janvier 2008 et ceux conclus dans le cadre des travaux de la Commission conjointe tripartite, ainsi que le Communiqué conjoint de Nairobi signé par les gouvernements congolais et rwandais le 9 novembre 2007 et les accords du Sommet de Ngurdoto, conclus le 8 septembre 2007 entre le Président du Congo et le Président de l'Ouganda;

2. de prononcer une condamnation catégorique des nombreux cas de violences sexuelles et de viols commis dans l'est de la République démocratique du Congo;

3. d'agir au sein du Conseil de sécurité en vue de l'élargissement du mandat de la MONUC concernant le désarmement et la démobilisation des groupes armés illégaux étrangers et congolais qui sévissent dans l'est de la RDC, en soumettant une proposition de modification du mandat de la MONUC établissant comme priorité d'action la neutralisation des groupes armés actifs, en ce compris la possibilité d'intervenir à côté de l'armée congolaise, si nécessaire, dans les régions de l'est de la RDC;

4. d'agir au sein du Conseil de sécurité afin de préciser le mandat de la MONUC concernant la protection des civils:
— en prévoyant, conformément à la résolution 1794 (2007), les mesures que doit prendre la MONUC pour rendre effectif son rôle de protection des civils, notamment à l'égard des violences sexuelles;
— en donnant une interprétation extensive de la capacité d'action de la MONUC pour la population civile « sous la menace imminente de violences physiques »;

5. d'agir au sein du Conseil de sécurité en vue de renforcer les moyens, les procédures et les dispositifs de la MONUC afin qu'elle protège de manière beaucoup plus efficace les populations civiles (forces mobiles d'intervention immédiate, dispositifs d'information et d'alerte, relevé d'éléments de preuves, ...), par une plus grande implication européenne;

6. d'inciter le gouvernement congolais à mettre fin à l'impunité régnant dans le domaine de la violence sexuelle pour faire en sorte que la loi congolaise sur la violence sexuelle soit appliquée, et ce en développant les moyens humains et les ressources financières nécessaires; d'agir auprès du gouvernement congolais pour que celui-ci instaure la protection de l'identité des femmes congolaises violées qui portent plainte, des victimes ainsi que des témoins;

7. en vue de mettre fin à l'impunité, d'œuvrer au sein du Conseil de sécurité afin de conférer à la MONUC une compétence d'appui aux autorités congolaises en matière d'arrestation, de détention et de transfert à la Cour pénale internationale des auteurs de violations graves du droit international humanitaire;

8. d'insister en vue de la création au Congo d'un tribunal spécial pour la répression des viols et des violences sexuelles contre les femmes, tribunal qui doit jouir d'un soutien international dans le domaine technique et financier;

9. d'encourager le gouvernement congolais à ne pas laisser impunis les viols et les violences sexuelles perpétrés par ses propres troupes;

10. de faire appel aux pays voisins du Congo pour qu'ils s'abstiennent d'actions qui pourraient déstabiliser la RDC car ils ont eux aussi un rôle à jouer dans l'installation d'une paix durable dans la région;

11. de veiller, en concertation avec l'UE et la communauté internationale, dans le cadre des Nations unies, à prévoir une capacité d'accueil et des possibilités d'accompagnement suffisantes pour les victimes de viols, de violences sexuelles et de mutilations, ainsi que pour leurs enfants et leurs proches; cet accompagnement ne peut pas se limiter aux soins de santé: il faut également apporter une assistance judiciaire, assurer la réintégration des victimes et contribuer à surmonter les traumatismes. Étant donné qu'en général, les victimes n'exercent plus d'activité économique, il faut également mettre en place des projets de réinsertion économique en faveur des femmes. Dans ce contexte, la coordination des donateurs est indispensable pour harmoniser les efforts des divers acteurs;

12. d'envoyer, à titre temporaire, des médecins spécialisés en urologie, en chirurgie viscérale et en gynécologie dans l'est du Congo. En effet, en plus de l'assistance médicale offerte aux victimes, il est nécessaire de disposer aussi d'urologues, de chirurgiens digestifs et de gynécologues ayant une formation en chirurgie et spécialisés dans les opérations de réparation des fistules génitales. Ces spécialistes devront transmettre leur expertise aux chirurgiens locaux dans les centres de formation attachés aux universités congolaises;

13. d'encourager l'UE à poursuivre ses missions EUSEC RDC et EUPOL RDC, à aborder la problématique des violences sexuelles à l'encontre des femmes dans tous ses contacts avec le gouvernement congolais, qu'ils soient politiques, commerciaux ou relatifs à la collaboration au développement, et à condamner ces violences.
Lorsque la mission EUSEC sera prolongée en juin, il conviendra également d'examiner dans quelle mesure celle-ci doit être précisée et davantage concrétisée, par exemple pour permettre d'apporter une aide à la famille des soldats congolais;

14. de prendre l'initiative, auprès des Présidences slovène et française, afin de mettre en place, lors du prochain Conseil européen, une mission d'investigation sur les exactions de violences dont sont victimes les femmes dans l'est de la RDC (à l'instar de la mission envoyée en Bosnie sous la Présidence européenne de 1993);

15. de poursuivre et d'intensifier son soutien au projet d'aide aux victimes de viols en RDC et au projet REJUSCO de restauration de la justice congolaise;

16. d'aider le Congo, en concertation avec la communauté internationale, à réunir et à mettre en lieu sûr tous les éléments de preuves nécessaires, afin que la justice puisse les traiter de manière adéquate;

17. d'être attentif au rôle joué par les femmes dans sa propre politique de prévention et de maîtrise des conflits, et d'incorporer une dimension de genre dans cette politique;

18. de convaincre également d'autres pays, dans le cadre des Nations unies, de la nécessité d'attribuer un plus grand rôle aux femmes et d'intégrer une dimension de genre tant dans les négociations de paix officielles que dans la prévention et la maîtrise des conflits;

19. de chercher des appuis pour la création d'une agence internationale des femmes, qui pourrait notamment se charger de collecter des données et des connaissances en matière de viols, de violences sexuelles et de mutilations commis en période de conflit, de recueillir d'éventuelles suggestions visant à éviter de telles situations et de chercher également des appuis pour la création d'un fonds d'indemnisation en faveur des victimes de violences sexuelles.

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